Que trouve-t-on dans « L’étiquette », le nouveau magazine signé So Press ?

Ceci n’est pas un magazine de mode. C’est sous couvert d’une pirouette à la Duchamp que débarque « L’étiquette », nouveau venu so chic de So Press.

« Pourquoi lancer un énième magazine de mode ? Justement pour ne pas parler de mode« , décoche Marc Beaugé dès l’édito du premier numéro de L’étiquette. Les lecteurs auront reconnu l’art du contrepied cool propre à la galaxie So Press – So Foot, So Film, Society – dont ce magazine-de-mode-qui-n’en-est-pas-vraiment-un est le nouveau-né. A la tête de la rédaction et sous l’œil attentif du styliste vintage Gauthier Borsarello, le Monsieur Chic de Quotidien fait le pari de rivaliser avec Vogue, Vanity Fair et GQ, en posant une question plus délicate qu’il n’y paraît : comment parler fashion en 2018 sans faire dans la superficialité, le stéréotype ou le prospectus de papier glacé ? Une fois l’opus en mains quelques réponses se tissent.

So cool ?

« On n’est pas Conde Nast !, s’amuse le journaliste, et si So Press n’est pas trop connu pour son rapport au vêtement, il fallait que notre façon de raconter des histoires s’y retrouve, notre ADN. » Des trois H vénérés par le boss à casquette Franck Annese (Humain, Humour, Histoire), on retrouve ici la quintessence. De l’éthique punk de l’anti-Trump Brendon Babenzien, ex directeur artistique de Supreme et opposant farouche à la folie Black Friday, (« aucun ouvrier ne doit souffrir pour faire des putain de vêtements ») à l’odyssée avignonnaise d’as de la friperie rhabillant la France giscardienne à grands coups de cool américain, entrevues et reportages insistent sur ce que les fringues racontent pour qui les porte. Fuyant les prescriptions pour shopping addicts, L’étiquette se rêve en « bon pote stylé mais pas fashion victim, qui te file des conseils décontractés pour t’habiller un peu mieux« , dixit son instigateur. Puisque ce n’est pas parce qu’on raconte la mode autrement qu’il faut le faire n’importe comment, vous saurez comment porter le trench coat ou le K-Way, assumer le bob et le pull-over.

Avec ce premier numéro tiré à 120 000 exemplaires, So Press adapte sa fantaisie au territoire très consensuel du journalisme mode, porte ouverte aux marques et autres annonceurs. « Mais ceux qui font leur pub présentent des valeurs qui nous conviennent, que l’on peut assumer« , rassure Marc Beaugé quant à ces concessions. Conscient que « l’étiquette » en question est parfois à trois chiffres au fil des fringues qui s’affichent pleine-page, ce dernier tempère : « on trouve aussi du Celio » dans cette revue qui pour être lue « ne nécessite pas d’avoir des Balenciaga à cent balles aux pieds ! ». Sous sa surface lisse de petit précis de style, L’étiquette questionne la possibilité d’un magazine de mode réellement démocratique en relativisant le sacrosaint cool, zone floue entre la désinvolture (l’élément qui « déconne ») et l’application de codes de bonne conduite. Somme de contradictions, la mode est éternelle et éphémère, « totalement superficielle et absolument fondamentale« .

Que trouve-t-on dans « L’étiquette », le nouveau magazine signé So Press ?

Bon chic bon genre

« Il y a des règles mais aussi des façons de les détourner« , assure en ce sens un Marc Beaugé en mode Fight Club, autorisant dans ces pages esthétisées le port du marron en ville (malgré l’adage anglosaxon « no brown in town« ) tout en renversant à l’époque des grandes révolutions les injonctions de genre que la mode impose. Manuel des tendances masculines, L’étiquette questionne en creux cette fichue masculinité, laissant tailleurs et concepteurs interroger la portée symbolique du costume, symbole soyeux d’une masculinité classe et désuète, paternaliste et sentimentale. On apprend ainsi que les traders tranchaient d’un coup de ciseaux les cravates de leurs collègues quand celles-ci étaient trop belles. Phallocratique à souhait. Le temps de ces observations étoffées s’expriment autant de « névroses obsessionnelles » qui dépassent le cadre des boutiques pour rejoindre le divan du psy.

Sans vraiment choisir entre Lacan et Lacoste, L’étiquette évite la snobinardise hipster suggérée par son titre en honorant la culture populaire, celle qu’incarnent Lino Ventura, Jean Gabin, Alain Delon, et bien évidemment Pierre Richard, qui fait l’objet d’une longue entrevue. On apprend que le grand blond avec une chaussure noire aimait pavaner en slip en compagnie de Jean Carmet, mais aussi…porter du Yves Saint Laurent. Un bel exemple de déboulonnage des clichés s’il en est. « Au fond l’étiquette est celle du vêtement, mais aussi le savoir-être, quelque chose de très français« , affirme d’ailleurs le rédacteur en chef à la cravate bien nouée, heureux d’avoir pu échapper aux plus piteuses boutades (« On a hésité avec So-Quette !« ).

Si Marc Beaugé aime évoquer « la profondeur de la superficialité » chère à Nietzsche (« car c’est toujours classe de citer Nietzsche !« ), il préfère encore relire Roland Barthes, selon qui « le vêtement est un fait social« . L’étiquette applique cette philosophie de la cabine d’essayage en nous démontrant que « la fringue est sociologique, politique, des costumes à quatre cents euros de Macron au scandale des costards de Fillon, en passant par Mitterrand et Chirac, qui partageaient le même tailleur« . Car choisir son t-shirt au saut du lit est déjà « l’expression d’une histoire intime, d’un choix », L’étiquette suggère d’imposer sa singularité face à « la mode, si forte qu’elle parvient à imposer des goûts aux gens, les convainc à l’usure ». Face aux tendances creuses qui abrutissent, la revue surgit en pleine Macronie pour mieux nous rappeler ces mots de Coco Chanel : « Il n’y a pas de mode si elle ne descend pas dans la rue« . Un léger manifeste de lutte des classes, par ceux qui l’ont.

L’étiquette, 9,90 euros, 168 pages, sortie le 18 octobre 2018