La cravate ou le nouveau moyen d'exprimer sa créativité en entreprise

Il n’est pas encore 9 heures du matin, l’allure est vive. Les passants se croisent sans se regarder. Pas le temps. Ici, on avance, on court même. Nous sommes dans le quartier de la Défense. Le monde grouille, les couleurs manquent, les hommes (peu importe leur âge) portent des cravates bleues marine. À l’instar d’Emmanuel Macron, fidèle aux couleurs sobres. Enfin presque. Les jours de fête, il ose la cravate en satin.

Ces hommes sont sûrement banquiers, consultants, comptables. Ces milieux professionnels imposent toujours le costume-cravate. “Quand on débute, porter une cravate donne une sorte de crédibilité, une légitimité. Un jeune consultant peut s’en servir pour se vieillir. Ou pour montrer qu’il a intégré la culture de l’entreprise”, explique Serge Massignan, fondateur du blog de mode masculine Comme un camion.

L’accessoire fait-il la crédibilité ? En tout cas, il y contribue, autant pour le stagiaire qui cherche à se vieillir, que pour le PDG en mal de légitimité. Relevons l’anecdote qu’au moment où Mark Zuckerberg, le patron de Facebook est invité à s’expliquer devant le Sénat américain au sujet du scandale lié à Cambridge Analytica, le t-shirt reste en Californie, place à la cravate.

Quid de la génération barbe de trois jours et baskets ?

Au-delà de ces cas particuliers, on sent que le traditionnel costume-cravate pourrait céder face aux “changements de style imposés par la nouvelle génération. Génération qui normalise la disparition de la cravate, et l’arrivée de la barbe de trois jours”, observe Jean-François Amadieu, sociologue et auteur de La Société du Paraître (Odile Jacob). “Tout évolue. Avant, il était inimaginable de voir un prof sans cravate” ajoute-t-il.

Tout a commencé dans les années 2000 : la culture startup rejette en bloc les règles éditées par les générations précédentes, la cravate en fait partie. Ce produit “de grande consommation, souffre alors de ringardise et les ventes s’écroulent”, décrit Serge Massignan. En 1998, les ventes de cravates atteignent un niveau record de 900 millions de livres, par an. Mais à partir de 2008, les ventes chutent jusqu’à valoir moins de 500 millions de livres par an, d’après une estimation du Daily Mirror.

La cravate ou le nouveau moyen d'exprimer sa créativité en entreprise

Dans les entreprises de la Silicon Valley, il n’y a plus aucun code vestimentaire. Le style est plus improvisé, moins rigide. Le T-shirt gris-claquettes façon Mark Zuckerberg est à la mode. “On a tout d’abord parlé de casual Friday. Puis, le style décontracté a dérapé sur toute la semaine”, rappelle Alexandre Chapellier, le créateur de Cinabre et fournisseur du Président de la République, qui possède une trentaine de cravates de la marque. Une sorte de libération vestimentaire de l’homme dans le cadre d’un “casual everyday”.

En 2018, même la banque américaine Goldman Sachs a aboli l’obligation du costume pour séduire la nouvelle génération. Le cabinet de conseil international PwC a aussi fait un pas de côté. Les salariés sont autorisés à adopter le “smart casual”, et à s’habiller comme ils veulent ... au siège de l’entreprise. Chez les clients, les auditeurs doivent se vêtir comme les clients. Une mesure à la portée toute relative, quand on sait qu’ils sont la plupart du temps, hors du siège.

On n’abandonne pas pour autant le chic. En parallèle du recul de la cravate, le noeud-papillon a gagné une certaines popularité, même si peu osent l’arborer au boulot. Des commerciaux le préfèrent à la cravate en rendez-vous professionnel, “il crée un environnement plus informel, plus détendu”, rapporte un employé de la boutique Le Colonel Moutarde. L’accessoire a plusieurs utilités, puisqu'il joue aussi le rôle d’“icebreaker”. Il retient l’attention et engage les conversations. Aussi pratique en démarchage commercial qu’en soirée.

Un accessoire prisé par les créatifs

Aujourd’hui, les salariés obligés à vivre cravate au cou sont assez minoritaires : “ils doivent représenter 15 à 20% de nos clients”, estiment le créateur de Cinabre, un spécialiste du noeud papillon et de la cravate. On ne porte plus la cravate par obligation, mais pour se faire plaisir. Une sorte de réaction au “trop plein de décontraction”, s’amuse-t-il. La cravate sort même du cadre strictement professionnel : certains n’hésitent pas à la marier à une casquette ou à une veste en jeans.

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D’autres choisissent une pièce en tweed ou en flanelle anglaise. La cravate se trouve une nouvelle place, en particulier dans les environnements créatifs : agences de communication, cabinets d’architecte. Et puis aujourd’hui, “on la consomme autrement : avant, on achetait une dizaine de cravates, à prix réduit, en une fois. Maintenant, on prend le temps. On étudie la matière. On veille à ce que la cravate reflète un état d’esprit. Désormais, elle distingue celui qui la porte de Monsieur Tout-le-monde”, analyse Alexandre Chapellier.