Les soeurs rivales: Jackie Kennedy & Lee Radziwill

« Mais comment a-t-elle pu me faire ça ? » Lee, la soeur de Jackie Kennedy, la veuve la plus célèbre du monde, ne se confie pas à une tombe alors qu’elle explose de rage. L’écrivain Truman Capote l’observe en entomologiste.

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Pour l’adaptation cinématographique de « Petit déjeuner chez Tiffany » (« Diamants sur canapé », Blake Edwards, 1961), il a déjà voulu sa copie conforme, Audrey Hepburn. La prétendue « saute-ruisseau », frêle et fantasque, élégante par sa futilité encore plus que par ses tailleurs Givenchy, est en réalité une princesse de la côte Est.

Truman Capote a nommé l’espèce à laquelle appartiennent les soeurs Bouvier : les geishas. Rien à voir avec les femmes faciles, comme le croient les touristes éméchés. Pour séduire, la geisha excelle dans tous les arts, celui de porter le kimono, de faire des bouquets, de servir le thé, d’écrire des vers et de pratiquer la musique. Côté littérature, Lee n’est guère allée plus loin que le « scrapbook », l’album de vacances avec photos, fleurs séchées, objets divers, légendes. Elle ne joue d’aucun instrument, mais danse le twist. Et, surtout, elle sait s’habiller, fille de la haute jusqu’au bout de ses agendas, sur lesquels les adresses évoquent le triangle inévitablement collé aux marques de luxe : Paris, Londres, New York. Janet Bouvier, la mère, a tout fait pour que Lee et Jackie rattrapent le lourd handicap d’avoir pour père un noceur, ruiné par le krach de 1929.

Elle les a inscrites dans les écoles où l’on apprend à se tenir à table, à parler avec l’accent convenable, à se faire des amis utiles. Lee a été une élève exemplaire, anorexique à l’âge de 12 ans sur les conseils de sa soeur qui, pour maigrir, lui disait de se mettre à fumer. Jackie a donné un peu plus de fil à retordre : son goût pour les livres d’histoire, les « Mémoires » de Saint-Simon, les Lettres de Mme de Sévigné, risquait de la faire évoluer en vieille fille, la grande peur de leur mère. Jackie a même prétendu travailler. Et porter le lourd appareil photo des reporters des années 1950 ! Elle approchait déjà 25 ans, l’âge couperet, et Janet lui prédisait qu’elle ne trouverait jamais un mari. Ce en quoi elle avait tort, puisque c’est ainsi qu’elle plut à John F. Kennedy à qui elle rappelait une soeur journaliste, morte à 28 ans.

Lee n’a jamais prétendu travailler, ou alors seulement pour réaliser ces sortes de vocations qui s’appellent actrice ou décoratrice. Elle s’est mariée la même année que Jackie, en 1953, mais elle avait 20 ans. Jackie avec son sénateur, Lee avec un jeune diplomate britannique. Elles ont fait leurs enfants simultanément : une fille et un garçon pour Jackie, un garçon et une fille pour Lee. Caroline Kennedy naît en 1957, suivie de son cousin Anthony en 1959, puis de sa cousine Christina et de son petit frère John en 1960. Les enfants de Lee ne sont pas ceux du diplomate. Car le mariage de l’une et de l’autre a également battu de l’aile. Mais alors que Jackie aurait été convaincue de rester par son beau-père Joe Kennedy pour 1 million de dollars, Michael, le premier mari de Lee, n’a pas trouvé le moyen de la retenir. Il était pourtant prêt à faire un effort. Mais lequel ? demande-t-il à Jackie.

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« Gagne de l’argent. – Justement, j’ai trouvé un nouvel emploi dans une maison d’édition. – Non, Michael, du vrai argent. » Exit Michael. De toute façon, Lee était amoureuse de Stas, avec qui elle aura ses enfants. Et là, elle marqua le point. JFK venait de connaître son premier échec à la présidentielle de 1956, à laquelle il s’était présenté comme vice-président ; elle, elle épousait un prince, polonais, certes, et ruiné par le communisme, mais un prince tout de même, descendant des rois de Prusse, de Pologne et même de George Ier d’Angleterre. Le capital de Stanislas Radziwill se réduisait au charme, à de la chance, et à une aisance innée à se mouvoir dans l’upper-class. C’était suffisant pour réaliser quelques coups brillants dans l’immobilier. Et Lee n’en demandait pas davantage. Une maison géorgienne à l’ombre de Buckingham, des soirées avec des gens amusants, des robes de couturiers. Et un mari qui s’entend à merveille avec son beau-frère, le président.

Avec Stas, JFK joue au backgammon, au moins devant les dames. On ne se lasse pas de Stas. Sauf Lee. Dans cette époque d’abondance, l’amour est volatil, il n’échappe pas aux lois de la consommation. On prend, on jette. Si fidélité il y a, il faut lui trouver d’autres champs d’application. C’est ainsi que, dans une de boîte de Londres ou de Monte-Carlo, Lee a fait la rencontre d’Aristote Onassis. Certains disent qu’il a un charme irrésistible. D’autres qu’il est petit, gros et, pire encore, qu’il n’a aucune classe. A ceux-là, Onassis répond que « la classe ne s’achète pas, mais la tolérance des gens qui en ont… oui ». Et Lee n’est pas loin de penser qu’avec ses cigares, ses lunettes teintées et ses liasses de billets, il a une classe folle.

Les soeurs rivales: Jackie Kennedy & Lee Radziwill

Elle a tout juste 30 ans, il en avoue 57. Mais il a inventé le pavillon de complaisance et les supertankers, et il est généreux et plein d’esprit. Il a aussi une île à lui et le plus beau des yachts, le « Christina O. ». Ses amis s’appellent Greta Garbo, Marlene Dietrich, l’Aga Khan, le prince Rainier, Winston Churchill… Divorcé, deux enfants, Onassis est surtout l’amant de la Callas, la diva du XXe siècle. Car « Ari », comme l’appellent ses amis, « le Grec », comme disent ses ennemis, se nourrit de la célébrité comme ses concitoyens d’olives et de feta. Si elle est son soleil, il n’est pas de ces moucherons qui se brûlent à la lumière qui les attire. Ari a le cuir épais. Il regarde Lee comme une jolie flle – « sexy », dit-il, ce à quoi la Callas ne prête aucune attention car elle n’a, selon elle, aucun atout pour être sa rivale – et la voit comme la belle-soeur du président des Etats-Unis.

On prétend que sa liaison avec Lee commence au printemps 1963. Est-ce parce qu’il offre à Stas le poste de directeur de sa compagnie d’aviation ? Pendant l’été, cette commère de Drew Pearson écrit dans le « Washington Post » : « L’ambitieux tycoon a-t-il l’espoir de devenir le beau-frère du président ? » Ça ne fait rire personne à la Maison-Blanche où on prépare la campagne du second mandat. Le président est tout auréolé de son discours de Berlin, au pied du Mur. Onassis et sa « ménagerie », sa bande de vedettes et de pique-assiettes, sont un peu trop bling-bling pour un gouvernement démocrate. Surtout que l’armateur est en délicatesse avec la justice américaine, qui l’a interdit de territoire et menacé de prison.

Jackie approchait déjà 25 ans, et Janet, sa mère, lui prédisait qu’elle ne trouverait pas de mari

Il serait convenable que Lee se souvienne qu’une dispense lui a déjà été accordée pour se remarier à l’église avec Stas. Qu’elle attende au moins la réélection de JFK avant de penser à un nouveau divorce ! Mais ce papillon de Lee se moque pas mal de ces pesanteurs. Alors que les journaux télévisés sont remplis d’images de bergers allemands montrant les crocs devant des étudiants noirs, elle contemple les eaux transparentes en songeant à la vie qui l’attend si Ari lui fait sa demande. Jackie a l’humeur moins badine. A Hyannis Port, elle attend un enfant pour la fin du mois d’août. A 34 ans, Jackie a déjà perdu deux enfants. Quant à Caroline et John, ils sont nés par césarienne. Cette nouvelle grossesse est donc à haut risque. Et survient le drame.

Le 7 août 1963, Jackie est transportée en urgence à l’hôpital militaire d’Otis : Patrick naît avec plus de trois semaines d’avance. Il pèse à peine 2 kg et souffre d’une sévère insuffisance respiratoire. On le transporte en réanimation à Boston. Le président, qui a gardé les yeux fxés sur sa couveuse pendant près de quarante-huit heures, racontera qu’il s’est « battu comme un boxeur ». Toujours sur son lit d’hôpital, Jackie ne se rendra pas à l’enterrement ; elle ne verra pas le cardinal Cushing relever John pour l’arracher au petit cercueil blanc sur lequel il s’est effondré, en larmes. John est un mari étrange, infidèle et aimant, mais un père idéal. Lui qui déteste les démonstrations de tendresse lui prend la main à la sortie de la clinique, non pas comme à une épouse américaine, mais comme à un frère d’armes, face au peloton des regards. Lee aussi a mis au monde un enfant prématuré : Christina, qu’elle a eu peur de perdre. La croisière perd de son charme. Ari propose : « Pourquoi n’inviterais-tu pas ta soeur à se reposer ici ? »

C’est ainsi que, malgré la réputation d’Ari et la campagne qui s’annonce, Jackie embarque sur le « Christina O. », en octobre 1963. Avec délicatesse, Ari a offert de faire place nette. On l’en dissuade. Que serait le « Christina O. » sans lui ? Il va se mettre en quatre pour Jackie, « le capitaine de l’embarcation ». Il lui fait visiter Smyrne, où il est né, lui explique comment les Turcs en ont chassé les Grecs et comment ils ont fait de lui un pirate. Le soleil de la Méditerranée cicatrise les plaies. Les attentions d’Onassis sont un baume. Les deux soeurs minaudent comme des collégiennes. A la fin du séjour, il offre à chacune un souvenir signé Van Cleef & Arpels. A Lee, trois bracelets de diamants ; à Jackie, un tour du cou en rubis.

Mi-figue mi-raisin, Lee racontera à son beau-frère qu’elle a reçu des bracelets miniatures qui seraient parfaits pour Caroline, 5 ans, alors que Jackie a été inondée de rubis. Mais des photos ont été publiées. Elles ont deux conséquences immédiates : d’abord, pour détourner l’attention des Américains, JFK leur offre ce dont Jackie les prive, un reportage sur les enfants à la Maison-Blanche, avec le célèbre cliché de John-John caché sous son bureau. Ensuite, la promesse de Jackie de le soutenir dans sa campagne, qu’il veut ouvrir par un coup d’éclat : la visite à Dallas, un mois plus tard. On sait ce qu’il en adviendra.

Chacun se rappelle où il était quand il a appris l’assassinat de Kennedy. Lee était à Londres et Ari à Hambourg, pour le lancement d’un nouveau tanker. Elle lui a immédiatement téléphoné pour l’inviter à la rejoindre à Washington, où il est pourtant interdit de séjour. Une invitation officielle de la Maison-Blanche suit. Du vivant de John, Jackie n’a pas pu remercier Ari comme elle l’aurait souhaité. Elle le fait maintenant. Il va marcher parmi les rois et les chefs d’Etat dans la foule indistincte derrière le cheval noir. Dans le maelström qui emporte l’Amérique, qui irait s’étonner de la présence de cet homme au bras duquel la First Lady la plus célèbre de l’Histoire a fait quelques pas, dans un jardin en deuil ? Ari est entré dans le premier cercle. Il est l’ami, le confdent, et bientôt davantage.

Jackie n’a jamais pu vivre sans un homme. Maintenant, elle a du mal à choisir. Il faudra l’assassinat de Bobby Kennedy, le candidat à la présidentielle de 1968, pour que le secret le mieux gardé de la Cinquième Avenue fasse les gros titres. Oui, après la mort de son très cher Bobby, Jackie en a eu assez de la tragédie. Elle en a eu assez qu’on prenne les Kennedy pour cibles, car elle a un fils. Elle a même proféré cette manière de serment : « Je hais ce pays, je méprise l’Amérique et je ne veux plus que mes enfants y vivent. » Elle ne pouvait trouver mieux pour briser les liens et casser son piédestal. Pour l’Amérique, l’union de Jackie et du Grec est un sacrilège. Pour Lee, c’est bien pire : ce mariage est un outrage, il lui inflige une de ces blessures d’orgueil dont on ne se remet jamais.

Ari, elle le voulait pour elle. Les présentations du futur gendre chez Madame Mère relèvent de la diplomatie de la guerre froide. Janet manque en défaillir. Elle connaît déjà Ari. Quelques années plus tôt, elle avait débarqué dans sa suite du Claridge. On venait de lui apprendre que Lee s’y trouvait. Il était midi, et il l’avait reçue en robe de chambre. Une première inconvenance, mais qui n’était rien à côté de la seconde. Comme elle demandait à voir sa fille, Ari lui répondit avec sa désinvolture habituelle : « Et qui donc, exactement, est votre fille, si je puis me permettre ? » Au nom de la princesse Radziwill, il ajouta, pas du tout impressionné : « En ce cas, madame, vous l’avez manquée de peu. »

Lee ne renonça jamais à l’extravagance qui faisait son charme

Le 15 octobre 1968, quatre mois après l’assassinat de Bobby, le « Boston Herald Traveler » annonçait la nouvelle. Et comme il s’agissait d’un journal de Boston, fief des Kennedy, le potin commença à passer pour vraisemblable. Jackie avait décidé que la cérémonie ne devait pas être célébrée aux Etats-Unis. Onassis tenta l’ambassade, à Athènes : on lui opposa un refus, implacable. Alors Ari décida de se rabattre sur la petite chapelle de Skorpios. « Et qu’on me trouve un prêtre qui ne ressemble pas à Raspoutine !» ordonna-t-il.

Le 17 octobre 1968, les 90 passagers du 707 d’Olympic Airways, qui espéraient embarquer à 20 heures à New York pour atterrir à Athènes quelque dix heures plus tard, apprirent que leur vol était annulé. Ils ne virent pas monter à leur place Jackie, ses enfants, sa mère, son beau-père et trois représentants du clan Kennedy. L’avion se posa sur une base militaire et les voyageurs terminèrent le parcours à bord du jet d’Ari. Lee ne crut pas utile de justifier son absence à cette cérémonie célébrée sous une pluie complice de son humeur maussade. Elle avait toujours appliqué à la lettre la règle aristocratique de ne jamais prendre au sérieux ce qui l’est, et de toujours traiter avec gravité ce qui ne l’est pas. Mais pas cette fois.

Face à Truman Capote, les larmes qui coulaient n’étaient pas celles d’une actrice. D’ailleurs, sur les scènes intellos de l’avant-garde new-yorkaise, elle n’avait jamais convaincu personne. Lee pouvait être légère comme un papillon, elle n’acceptait pas de se laisser écraser. C’était une vieille histoire qui remontait bien plus loin qu’Ari et ses milliards, au temps où Jackie lui prenait toute l’admiration de leur père, avec son goût pour les chevaux, dont Lee avait si peur. Une histoire de soeurs. Pour la calmer, Ari lui offrit une propriété près d’Athènes, raconte Truman Capote, ajoutant qu’elle l’avait aussitôt revendue. Puis Lee refit sa vie avec le photographe Peter Beard, dont la beauté pouvait apaiser bien des regrets. Elle ne renonça jamais à l’extravagance qui faisait son charme. Au contraire de Jackie, que le temps rendait de plus en plus raisonnable. Le présent les avait un instant éloignées, elles se fichaient du futur, qui n’avait plus grand-chose à leur offrir. Restait le passé.

En 1975, Lee et Jackie, qui avait réalisé son ambition de trouver du travail dans l’édition, publièrent le journal de leur voyage en Europe en 1951, quand elles étaient deux jeunes filles sur qui se retournaient les passants. La même année, on ne vit pas Lee à l’enterrement d’Ari. On dit que Jackie lui avait demandé de ne pas venir, pour que personne ne se souvienne des raisons qu’elle avait de se trouver là.

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