Serait-ce l’idée de l’imminent retour vers les week-ends enfiévrés de festivals ? Ou la joie physique de pouvoir vibrer de nouveau debout lors d’un concert, comme cela sera autorisé en France à compter du 30 juin ? Les créateurs de la semaine de la mode masculine de Paris, qui s’est tenue du 22 au 27 juin, ont en tout cas paru sensibles aux vertus de la musique.
Après la drum and bass célébrée chez Louis Vuitton ou la transe des rave-parties à l’honneur chez Burberry, Kim Jones, chez Dior, roi des collaborations chocs, s’essaye pour la première fois à une ligne entièrement pensée avec un musicien. Et pas n’importe lequel : Travis Scott. Avec 41 millions d’abonnés sur Instagram, le rappeur américain est, à 29 ans, l’une des personnalités les plus influentes du moment, notamment auprès de la fameuse génération Z. Des hordes de jeunes fans l’attendaient, smartphone à la main, à la sortie du défilé qui réunissait 495 invités au pied des Invalides.
« J’ai beaucoup pensé à la jeune génération cette année, qui a souffert des confinements successifs. Cela préoccupe Travis également. Sa fondation, Cactus Jack, permet de lever des fonds pour financer des étudiants en mode, en partenariat avec la Parsons School. Les bénéfices de cette collection seront également dédiés à cela », explique Kim Jones, la veille du défilé, au siège de la maison parisienne.
Sur le podium, le vestiaire est élégant mais décontracté. Les mannequins, baskets aux pieds, portent des costumes ajustés dont le revers est attaché par une broche brillante, de larges chemisiers, de courts blousons zippés ou des pièces en maille aux couleurs tranchées. « L’allure est inspirée par celle de Travis, par les références avec lesquelles il a grandi, comme l’image de Jimi Hendrix avec ses pantalons évasés. C’est excitant de voir un regard neuf se poser sur l’héritage Dior », détaille Kim Jones.
Le rappeur n’a pas eu peur de se confronter aux codes historiques pour mieux les bousculer. Le sac Saddle voit double, le logo Dior se transforme, tandis qu’un collier imaginé avec Victoire de Castellane, chargée de la joaillerie de la marque, reprend la forme d’un cactus, clin d’œil à son Texas natal. L’artiste George Condo signe également des imprimés sur une série de chemises. La bande-son du défilé a quant à elle dévoilé des morceaux exclusifs du rappeur, pour la plus grande joie de ses fans.
Il est également question de la jeunesse sacrifiée chez Loewe. Jonathan Anderson propose un vestiaire hommage à la culture du clubbing, quand la musique fait perdre les sens. « Cette collection est consacrée à tout ce que nous n’avons pas pu faire cette année », explique le designer. La vidéo, tournée à Marseille, prend alors des allures de rave-party, les couleurs néon habillent des chemisiers transparents, des shorts ou des bottes lacées. Les sequins brillants rehaussent des tee-shirts tandis que la maille est aérienne, facilitant le mouvement. Une garde-robe idéale pour célébrer avec panache la réouverture des boîtes de nuit, le 9 juillet.
C’est dans l’énergie solaire de Volta Jazz, groupe burkinabé des années 1970, que Grace Wales Bonner a trouvé son inspiration. La Londonienne, également nourrie du travail du photographe Sanlé Sory, dont des clichés ont immortalisé le Volta Jazz en concert, propose des tailleurs pour élégants jazzmen, des tricots en mohair, des chemises flottantes striées, relevés de détails artisanaux : jacquards ou cotons tissés main au Burkina Faso.
I've been shampoo-free for the best part of a decade. Never going back. It takes some transitioning for your scalp… https://t.co/12HxDqdcVV
— Ashleigh Hibbins (she/her) Thu Apr 22 15:20:00 +0000 2021
Chez Lemaire, Christophe Lemaire et Sarah-Linh Tran poursuivent leur introspection du vestiaire idéal. Matières souples, palette de couleurs sobre et collaborations avec des artistes : les délicats paysages du peintre américain Joseph Yoakum s’invitent sur des chemisiers amples ou des jupes molletonnées, tandis qu’une série de tee-shirts s’inspirent du graphisme de la pochette du dernier album du groupe anglais Tomaga. « Valentina, la batteuse du groupe, avait fait la bande-son du dernier défilé. C’est une performeuse incroyable. Nous avions envie de montrer ici le goût de la marque pour la musique », explique Sarah-Linh Tran.
« A mesure que je bâtissais la collection, un look de festivalier hédoniste perçait », raconte Thomas Monet qui a lancé en 2019 Cool T.M, qui confronte techniques couture et esprit grunge. Côté festival, est-on plutôt au vieux Woodstock ou au contemporain Coachella ? Un peu des deux, tant cet ancien de Balmain mixe neuf et vintage, associant une veste en tweed jaune impérial à des joggings fluo ou des hoodies logotés.
Lire aussiArticle réservé à nos abonnésA la Paris Fashion Week, le costume reprend vieChez Courrèges, pour sa première incursion dans le vestiaire masculin, Nicolas Di Felice s’est tourné vers les archives, pour en extraire une version modernisée, pop et populaire, alternant les petits bombers, les références au workwear, le denim ou la maille efficaces. Les concerts, ou plutôt leur absence cette année, l’ont également inspiré. « J’adore les festivals en plein air, leur énergie, j’en ai fait énormément ! Comme cela m’a beaucoup manqué, j’ai imaginé des parkas et pardessus en nylon éco responsable, un peu comme ceux que l’on a en tête lorsque l’on pense aux festivals anglais, avec la pluie et la boue. »
Chez Rick Owens, c’est du sable que piétinent les pieds des modèles, à la lisière des vagues : celui de la plage du Lido à Venise, dans une vidéo puissante au tempo de dubstep (musique électronique londonienne). Si l’on retrouve bien sûr quelques traces du noir cher à Rick Owens, ses garçons chamans se succèdent surtout enveloppés d’un blanc virginal, qui court depuis les baskets sans lacets et chaussures compensées, remonte sur les pantalons à Zip avant de gagner les gilets architecturés de héros de science-fiction ou vestes aux épaules pointues façon archange. Un top en plume couronne le tout, développé avec Maison Février, l’incontournable fournisseur de Joséphine Baker.
Dans un tout autre genre, voilà Mylène Farmer qui s’inscruste chez le duo français EgonLab. Et ce, littéralement : les paroles de Désenchantée, le tube de la chanteuse qui sera jurée à partir du 6 juillet au Festival de Cannes, recouvrent en police gothique un top en mesh. « On voulait une collection qui puisse donner envie d’aller de l’avant en restant unis et de mettre derrière nous le trauma collectif de la pandémie. Alors, forcément, cette chanson, dont le refrain commence par “Tout est chaos” et finit par réclamer un futur radieux nous a paru indiquée », racontent Florentin Glémarec et Kévin Nompeix. Ils accompagnent cette ode à l’artiste de leurs tailleurs seventies et d’autres vêtements « aux ondes positives » : chemise couverte d’un phénix, veste matelassée qui clame « L’amour toujours » ou manteau en jacquard qui représente Michel, l’archange qui offre un salut aux âmes en peine.
Enfin, chez Lazoschmidl, duo suédois vivifiant et pop, le programme annoncé est surprenant : « De la techno allemande à Los Angeles. » De fait, les créateurs empruntent à la Californie les shorts de sport, surchemises et sweat-shirts, effets tie and dye et slips de bain pour flotter dans une piscine de Beverly Hills. Mais stimulent l’ensemble d’un zeste d’underground berlinois très gay, avec des pantalons colorés en latex et des chaînes en guise de ceinture, des imprimés psyché et des slogans humoristiques qui proposent des jeux de drague voire, franco, du sexe oral. Rythmé et percutant.
Lire aussiParis Fashion Week : un festival de couleurs