« Oh gosh! I’m sooo hungry. » Manteau bleu canard posé sur les épaules, Jenna Lyons débarque en trombe dans son bureau, situé en plein cœur d’East Village, à New York. Il est onze heures du matin, et la directrice de la création et présidente de J.Crew n’a toujours pas pris le temps de petit-déjeuner. « C’est la course aujourd’hui », constate-t-elle dans un français étonnamment juste, tout en sirotant un café glacé.
Cheveux tirés en chignon, lunettes noires hublot, rouge à lèvres carmin : cette grande fille (1,82 m tout de même) est décidément singulière. « Aujourd’hui, je suis J.Crew de la tête aux pieds », dit-elle en ajustant son col. Chemise d’homme, pantalon de costume gris anthracite, escarpins open toes à lacets, le tout rehaussé par un tee-shirt à sequins lie-de-vin : la reine du mix and match a encore frappé ! Parions que ce look a déjà rejoint les dizaines de milliers de comptes Pinterest consacrés à ce gourou de la mode. Car, à coups d’imprimés audacieux et d’associations impertinentes, Jenna Lyons a réussi l’impossible : imposer une allure qui n’appartient qu’à elle. Un style unique. Le style J.Crew, que tout le monde adopte désormais, de Lena Dunham à Michelle Obama en personne !
L’art de côtoyer les stars
« L’heure est grave, dit-elle en souriant. Aujourd’hui, je déjeune avec le prince William et la duchesse de Cambridge, qui sont de passage à New York. And… you know, je suis super excitée. C’est la première fois que je les rencontre, alors… you know… » Son débit de parole est en mode « avance rapide ». Elle ponctue chaque phrase d’un « you know » (« vous savez »), doublé d’une mimique : un vrai personnage de Tex Avery ! « Tout cela est très intimidant, non ? »
Pourtant, dernièrement, Jenna est devenue experte dans l’art de côtoyer les personnalités les plus influentes du moment, dont Anna Wintour et Beyoncé. Sur son bureau, parmi d’innombrables dessins de son fils Beckett, trône d’ailleurs une photo d’elle en compagnie d’Oprah Winfrey. « Elle fait partie des femmes que j’admire le plus au monde. Elle est d’une intelligence folle, elle est généreuse, et surtout elle a su rester authentique. » Jenna Lyons rencontre Oprah en 2010 dans le cadre d’une émission intitulée Inside Glamorous Dream Job (« Dans les coulisses d’un métier de rêve »). Qui mieux que miss Lyons pour témoigner ?En 1990, fraîchement diplômée de la Parsons School de New York, Jenna intègre J.Crew. Elle a 21 ans. « J’étais alors assistante d’une assistante d’une autre assistante ! » s’esclaffe-t-elle. Vingt-cinq ans plus tard, après un passage au département homme, puis à celui de la femme, elle devient directrice de la création et présidente de la marque. Son succès est tel que la presse américaine la surnomme « the woman who dresses America » (« la femme qui habille l’Amérique »). Une ascension décoiffante.
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— wikiHow Tue Apr 01 01:51:37 +0000 2014
“God, j’étais tellement grande !”
« C’est complètement crazy, non ?! » s’exclame-t-elle. Elle avale deux gorgées de café glacé. « C’est certain, je suis bénie des dieux. » Aujourd’hui adulée par des millions de fans, Jenna Lyons a pourtant connu des débuts difficiles. « J’ai grandi dans une petite ville du sud de la Californie. Très tôt, on m’a diagnostiqué une maladie génétique répondant au doux nom de “Incontinentia pigmenti”. Concrètement, mon corps était recouvert de cicatrices, je perdais mes cheveux par poignées, et mes dents étaient complètement difformes. J’ai dû attendre l’adolescence pour avoir des implants… » Grimace. « God! J’étais tellement grande et tellement maigre… c’était atroce. J’étais la risée de toute l’école. Mes mensurations, délirantes pour cet âge, m’empêchaient de trouver mes tailles en boutique. J’étais obligée de me fabriquer des tenues avec les vêtements de mon père. » Est-ce de là qu’elle tient son penchant pour les looks androgynes ? Haussement d’épaules. « C’est possible, oui. Je pense en tout cas que les difficultés rencontrées façonnent la personne que l’on devient. »
À 12 ans, sa mère l’inscrit dans un cours où on apprend, notamment, la couture. « Là, les choses ont changé, dit-elle, une étincelle dans les yeux. Je me suis mise à créer mes propres vêtements. » Jenna Lyons expérimente, s’amuse, et débarque le jour de la rentrée des classes vêtue d’une jupe longue assortie d’une cape maison. « Quand j’y pense aujourd’hui, c’était n’importe quoi ! Une cape sous le soleil de Californie… Pfff… Crazy girl! » Pas si folle que ça ! Le collège tout entier se retourne sur son passage. « C’était la première fois qu’on me remarquait ! Les filles les plus populaires de l’école m’ont même passé commande. C’était l’excitation ! » Pour ses 13 ans, sa grand-mère lui offre sa première machine à coudre et un abonnement à Vogue.
Le phénomène Lyons est en marche. À la fin de ses années lycée, elle prend un aller simple pour New York. « À moi la Parsons School ! Enfin, je me sentais là où je devais être. J’ai tout de suite aimé l’état d’esprit de New York et son énergie. Quant à la Parsons School, j’étais soudain entourée de gens qui parlaient le même langage que moi. C’était magique ! » Jenna vit alors en colocation. « Je n’avais pas un sou en poche ; du coup, je piquais tous les vêtements de ma colocataire, qui avait un goût absolument divin et un papa excessivement généreux. Son dressing était rempli de pièces Issey Miyake, Alaïa, Givenchy… »Au pied de son lit s’entassent alors des magazines de mode, des croquis en pagaille, et des pages arrachées d’un certain catalogue J.Crew. « À l’époque, J.Crew était une marque de vêtements vendue uniquement par correspondance. Des filles iconiques comme Christy Turlington ou Linda Evangelista posaient dans ces tenues stylées mais abordables. J’étais fan ! » Nous sommes alors au tout début des années 1990. Depuis, la marque a fait du chemin. Elle est même au sommet de l’Everest. Le catalogue est aujourd’hui distribué à 80 millions d’exemplaires par an, et J.Crew compte 290 boutiques dans le monde. « Oui, la marque a grandi et évolué, mais Micky et moi ne perdons jamais de vue l’ADN maison : proposer une mode chic et désirable à un prix abordable. »
Le shooting mode de Jenna Lyons
Un panel de beaux basiques
Micky ? Millard « Mickey » Drexler, le génie du retailing à la tête de J.Crew. L’homme que la presse américaine surnomme le « Merchant Prince ». Après avoir redressé la marque Gap, il est nommé au poste de CEO de J.Crew en 2003. Le succès actuel de la marque lui est dû en grande partie. « Micky a tout de suite compris qu’il fallait booster la créativité et proposer toujours plus de qualité. Pour lui, le produit se trouve au centre de tout. » La signature maison ? Proposer un panel de beaux basiques, à la qualité irréprochable, parsemé de pièces plus audacieuses, comme des pantalons à sequins, des chemises dans des imprimés surprenants, ou des cachemires flashy made in Italy. « Prises indépendamment, les pièces ne présentent rien d’extravagant, concède Jenna. Tout réside dans l’assemblage. C’est ça qui compte ! Nous voulons donner à notre cliente les clés pour trouver l’inspiration. Ensuite, à elle de jouer et de se forger son propre style. »
“Cette façon d’être chic ...”
En 2008 et 2010, Mickey Drexler nomme Jenna Lyons directrice de la création et présidente de la marque. Depuis, ces deux-là forment un parfait binôme. Lui œuvre dans l’ombre, elle dans la lumière, mais ils avancent toujours main dans la main. Ensemble, ils chapeautent 1 100 employés aux headquarters de J.Crew, à New York. Leur chantier actuel ? Multiplier les ouvertures à l’international. Après Londres et Hongkong, ils s’apprêtent à inaugurer leur première boutique parisienne, en plein cœur du Marais (1).« I’m excited! conclut Jenna. Pour nous, Paris est une évidence. La mode commence ici. Quand je pense Paris, je pense style, je pense Yves Saint Laurent, je pense Balmain, je pense Alaïa… Paris est peuplé d’icônes mode ! » Elle lève les yeux au ciel. « L’un de mes premiers frissons mode est d’ailleurs lié à une Parisienne… Quand j’étais étudiante, j’officiais comme habilleuse pendant les Fashion Weeks pour me faire un peu d’argent de poche. Un jour où j’œuvrais dans les backstages d’Oscar de la Renta, je vois arriver une liane d’une grâce inouïe. C’était Carla Bruni. Tant de style et de désinvolture : j’étais bouche bée. De toute façon, les Françaises et leur sens du style ne cessent de m’impressionner ! Cette façon d’être chic sans en avoir l’air, cette confiance en soi, ce négligé maîtrisé… »Son assistante l’interrompt. « Time to go, Jenna. » Pas question de faire attendre Kate et William ! Un dernier conseil mode avant de partir ? « Rappelez-vous toujours d’une chose : on ne se souviendra pas de vous parce que vous êtes tendance, mais parce que vous êtes élégante. Il y a une nuance, croyez-moi. » Elle replace son manteau bleu canard sur ses épaules. « Et surtout… gardez le sourire ! »
(1) 12, rue Mahler, 75004 Paris.
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