Sur les pas de Dante : vers la contemplation (32/34)

Aucun document ne demeure à propos la vie de foi du poète florentin. Prie-t-il souvent ? Dit-il les offices divins avec des compagnons ? Préfère-t-il se recueillir dans le retrait de sa chambre ? Participe-t-il à la vénération du saint Sacrement, ainsi que l’usage commence à se développer au début de son XIVe siècle, après qu’une dévotion particulière à l’Eucharistie a été encouragée depuis l’institution de la Fête-Dieu par le pape Urbain IV en 1264 ?

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Si lui garde toute pudeur sur sa pratique, les écrits de Dante témoignent toutefois vivement de sa foi, de son goût pour les psaumes, de ses connaissances théologiques poussées, de son engagement pour l’Église. Elle est pour lui « l’Épouse du Christ » : « Parmi les ouailles aux pâturages de Jésus-Christ, certes je suis la moindre, assure-t-il. Ce n’est donc pas par la grâce des richesses mais par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis, et « c’est le zèle pour sa maison qui me dévore » » (Épître XI).

Ce zèle et son indignation envers une partie du clergé expliquent peut-être indirectement pourquoi le rire, très loin de l’expression d’une futilité, occupe dans sa Commedia une place à part. À son époque médiévale, nombre de catholiques se méfient du rire, s’éloignant peut-être là de la simplicité évangélique du « Oui » joyeux de Marie, et de l’humour de Jésus. Ainsi Dante fait-il preuve d’une grande hardiesse en célébrant le rire dans son poème, comme un témoignage de l’allégresse dans l’amour de Dieu. Il est aussi marque palpable de la légèreté que l’auteur insuffle à son texte à mesure que ses pas et ses mots le rapprochent des hauteurs du Paradis. Arrivé là, le rire éclatant de Béatrice se révèle comme le moteur de toute élévation spirituelle et béatifique.

Une aspiration à la contemplation

Sur les pas de Dante : vers la contemplation (32/34)

Si l’on ne connaît pas la vie de prière du poète, on ne peut douter de son aspiration à la contemplation. Elle semble même figurer pour lui l’horizon de toute vie, quand il enjoint tout homme à chercher à asseoir sa vie sur deux appuis : « la béatitude de cette vie-ci, qui consiste en la mise en œuvre de sa vertu propre et est figurée par le paradis terrestre ; et la béatitude de la vie éternelle, qui consiste dans la jouissance de la vision de Dieu » (Monarchie III).

Œuvre unique par la métamorphose que sa langue opère, œuvre qui, comme le Paradis lui-même, ne se donne qu’au prix d’un chemin exigeant, la Divine Comédie offre à sa manière un chemin vers la contemplation. Comme le voyageur au fil des trois règnes, le lecteur doit accepter de faire un travail de dépouillement, traverser sa propre forêt obscure avant de pouvoir rejoindre la lumière. Savoir accueillir, écouter, baisser la nuque, plier le genou, se laisser transformer par sa lecture… L’œuvre est éminemment complexe, riche de multiples sens. Chacun trouvera donc la traduction de l’italien qui offre pour lui le meilleur accès, un choix subjectif et personnel comme le sont aussi les sensibilités spirituelles.

À propos de l’expérience de lecture de Dante, le théologien Romano Guardini parle de la puissance d’une « expérience qui, venue du cœur, rayonne dans l’esprit et, en même temps, ébranle tout l’être corporel ». Pour le philologue Erich Auerbach, « Dante est ce poète qui porte dans l’éternel l’homme, le monde, l’histoire, toute l’existence, sans que la forme finie s’évanouisse. Elle se transforme, mais elle est maintenue ». Et pour la traductrice Jacqueline Risset, « lire Dante, c’est probablement chaque fois toucher du doigt dans sa propre expérience le point germinatif à partir duquel toutes choses prennent forme, tout processus se rend présent et s’accélère ».

Prochain épisode jeudi 26 août : paradis retrouvé

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