A Marseille, «qu’on soit en jogging ou en jupe courte, on nous fait des remarques»

«Est-ce qu'on vous a déjà embêtées dans la rue ? Et est-ce que c'est obligatoirement quand vous portez des tenues sexy ?» demandent les intervenantes du Centre d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) des Bouches-du-Rhône. Face à elles, une quinzaine de jeunes de 14 à 18 ans, principalement des filles, de la Maison pour tous du quartier Endoume-Bompard que gère la Ligue de l'enseignement, dans le 7e arrondissement de Marseille. Carla, 17 ans : «Qu'on soit en jogging ou en jupe courte, c'est la même chose, on nous fait quand même des remarques.» «Moi je pense qu'il y a des limites à ce qu'on peut porter dans la rue, pour pas provoquer», dit timidement une autre. «Tu provoques pas. C'est juste le mec qui n'a pas le bon regard sur toi», intervient Lina du haut de ses 15 ans.

«Je me sentais un peu démuni»

Ces ados auraient pu choisir de passer cette semaine de mi-juillet à la plage avec les copains. Au lieu de quoi, ils ont demandé à leur animateur de participer à des ateliers sur les violences sexistes. Et comme cinq autres groupes de jeunes en région Paca, ils ont été choisis pour créer, à partir de leurs expériences, des scénarios pour la campagne nationale de prévention du CIDFF #ViolenceJeTeQuitte. Des récits qui seront par ensuite transformés en BD par la dessinatrice marseillaise Lili Sohn (la Guerre des tétons, Vagin tonic), dont le travail interroge entre autres le droit des femmes à disposer de leurs corps.

A lire aussi Violences sexuelles : en Corse, des manifestations pour «en finir avec l'omerta»

«C'est réellement une volonté de la part des jeunes de s'informer sur le sujet, précise Andy Lamat, animateur et responsable du secteur jeunes de la MPT. Ça me réjouit car ces ateliers vont aussi me permettre de mieux comprendre leur désarroi. Jusqu'ici j'avoue que je me sentais un peu démuni dans l'aide que je pouvais leur apporter.» Depuis plusieurs années, à travers différents projets, la Ligue de l'enseignement a aussi à cœur de faire des jeunes des quartiers marseillais des citoyens éclairés en leur permettant d'aborder via des ateliers animés par des professionnels, les questions de genre, d'écologie, de démocratie, et autres.

«Gars forceurs»

A Marseille, «qu’on soit en jogging ou en jupe courte, on nous fait des remarques»

Situé entre le Vieux-Port et la Corniche, le 7e arrondissement de Marseille n'est pas un quartier prioritaire de la politique de la ville mais il concentre quelques poches de pauvreté. «Les jeunes dont on s'occupe sont principalement issus de familles monoparentales, les mamans cumulent souvent deux emplois et sont rarement à la maison, il y a des jours aussi où certains ne mangent pas à leur faim», indique l'animateur.

Parmi ces jeunes, l'une a déjà été victime de cyberharcèlement, d'autres ont grandi au milieu des violences conjugales. Et malgré leur jeune âge, comme plus de 80% des femmes, toutes les filles présentes ont déjà des tas de mésaventures de harcèlement de rue à raconter, et ce, dès le début de la puberté. «Que je sois avec ma mère, mes copines, même mon copain, peu importe, ça ne les arrête pas ! explique Tchandeni, 17 ans, qui dit n'avoir pour autant jamais eu l'intention de renoncer à ses minishorts ou crop-tops. Souvent j'utilise l'humour pour me défendre, en me moquant d'eux, pour qu'ils aient honte.»

Jade, 14 ans, pantalon noir et tee-shirt ample, raconte que pas plus tard que la veille, alors qu'elle rentrait chez elle en sortant de l'atelier, un homme l'a suivie jusqu'à sa porte. «J'ai eu l'idée de sonner pour que quelqu'un vienne m'ouvrir. Là, il a eu peur et il est parti», explique-t-elle. Chacune sa technique pour se débarrasser des «gars forceurs», comme les surnomme Ilona, 17 ans. Mais dans ce type de situation, la sidération prend souvent le dessus.

«Les profs et les surveillants sont beaucoup trop laxistes»

L'espace public n'est pas le seul lieu où elles sont confrontées à ces violences sexistes. Les adolescentes donnent aussi des exemples en soirées, à l'école, à la maison… Point positif : la plupart semblent déjà très au fait de ce qu'est le consentement. Lina : «Le féminisme, c'est une cause importante pour moi. Ma mère est très ouverte sur toutes ces questions-là, ça m'aide.» «Cette génération, comparée à celles d'avant, accepte moins les remarques sexistes et n'a pas le même rapport à l'image. Je les trouve assez fortes et pleines de stratégies, ça donne espoir», se félicite Marielle Vallon, intervenante et directrice du CIDFF qui indique que dans certains quartiers, il est plus compliqué pour les filles de s'affirmer aussi librement. Elle souligne aussi que des zones plus floues comme le chantage sexuel au sein du couple restent encore à travailler. Et de poursuivre : «Avec ce projet, ce qu'on veut montrer aux jeunes, c'est que les violences sexuelles ne viennent pas de nulle part, c'est une construction.»

De son côté, Jade s'attriste qu'on n'aborde pas plus le sujet à l'école : «Je trouve qu'au collège, les profs et les surveillants sont beaucoup trop laxistes avec les gars sur ces sujets.» D'ailleurs, seulement deux garçons ont participé aux ateliers, et l'un, traîné par sa copine, n'est finalement venu qu'à la première séance. Pour cause de suspicion de Covid, Anthony, 17 ans, n'a pu être présent que deux jours et il le regrette car ces ateliers lui tenaient à cœur : «Je ne suis pas du genre à embêter les filles dans la rue, mais je vois les regards insistants des hommes sur ma sœur. Nous les garçons, on ne nous éduque pas sur ces questions-là. Personne ne nous apprend à ne pas agir comme ça avec les filles, et c'est dommage…»