"Voici ce qu'il s’est passé quand ma fille de 7 ans a décidé de quitter la maison"

PARENTALITÉ - En faisant la lecture à ses enfants, on s’expose à quelques dangers: ils se mettent à penser par eux-mêmes, leur compréhension écrite et leur vocabulaire s’améliorent de façon spectaculaire, et ils peuvent vouloir reproduire les scènes qu’on leur a décrites.

Ces temps-ci, ma fille adore les histoires de Ramona, de l’autrice Beverly Cleary. Il y a beaucoup de bons exemples dans ces livres. On y apprend à être gentil avec ses frères et sœurs, à accepter les critiques des autres élèves et des professeurs, et à parler franchement à ses parents sans s’attirer d’ennuis. Mais récemment, Ramona a donné à ma fille de sept ans une autre idée: celle de faire une fugue.

Vers la fin de “Ramona et sa mère”, Ramona déclare qu’elle va s’enfuir de chez elle car elle ne se sent pas aimée ni appréciée à sa juste valeur. Ma fille éprouvait sans doute la même chose. Elle est très sensible et pleine d’empathie, et elle ressent toutes les émotions de façon exacerbée. Ce dimanche après-midi là, elle était en colère parce qu’on ne pouvait pas aller nager – une activité qu’elle adore. A mon avis, elle était aussi un peu angoissée à l’idée de partir en colo pour la première fois le lendemain. Au fond, pourtant, ce n’est pas mon refus de l’emmener nager qui l’a poussée à partir. Je crois qu’elle avait besoin d’être sûre que je l’aimais inconditionnellement.

Test et caprices

Depuis la pandémie et le divorce qu’elle a entraîné, ma fille “teste” souvent la force de mon amour en faisant des caprices. C’est fréquent chez les enfants et j’ai parfaitement conscience que c’est une façon pour elle de réclamer de l’attention et de l’affection. Quoi qu’elle fasse, même si c’est une énorme bêtise, elle veut que je la rassure en lui disant que je ne l’abandonnerai jamais. Elle faisait déjà ce genre de chose avant le divorce…mais c’est devenu beaucoup plus fréquent depuis la rupture et nous discutons souvent avec notre thérapeute de la façon d’encourager notre fille au tempérament passionné à préférer la paix à la guerre.

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Quand elle m’a fait part de son intention de s’en aller, j’ai suivi l’exemple de la maman de Ramona, Mme Quimby, et j’ai apporté à ma fille une valise, déjà garnie de son manteau de pluie… et de deux haltères d’un poids de cinq kilos chacun. Le plan de Mme Quimby est de faire en sorte que Ramona ne puisse pas partir. Et quand sa fille découvre le pot-aux-roses, elle lui dit: “Je serais perdue sans ma Ramona!” Ramona se jette dans les bras de sa mère, se sentant aimée et acceptée. Fin.

Ma fille a découvert les haltères et s’est mise à hurler : “Je sais ce que tu cherches à faire mais ça ne va pas marcher! J’ai pris ma décision et tu ne peux rien faire pour m’en empêcher!”

Elle a terminé de faire sa valise, où elle a mis entre autres sa nouvelle peluche, son journal intime et des marqueurs, et plusieurs tenues de rechange. Je lui ai suggéré de mettre ses bottes pour être bien protégée en cas de changement de temps. Elle a relevé la capuche de son sweat rose vif, a pris sa valise et enfilé les bottes.

Son petit frère de cinq ans et moi lui avons fait nos adieux à la porte. En larmes, elle a dit au revoir à notre chienne qui la regardait, sagement assise.

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“Peut-être que je reviendrai un jour”, lui-a-t-elle dit.

“Oui, mais les chiens ne vivent pas éternellement, alors elle sera morte d’ici là”, ai-je répliqué du tac-au-tac. Bon, j’y suis allée un peu fort. Mais je commençais à avoir peur que ma fille n’aille jusqu’au bout de son idée.

“Reste, s’te plait!” l’a suppliée son frère.

“Je suis désolée”, a-t-elle répliqué. “Ma place n’est pas ici. Je ne sais pas où elle est, mais je vais la trouver…quelque part dehors.” Elle a fixé le sommet de la colline et elle est partie sans se retourner.

Un plan B

J’avais un plan B. Non seulement nous avions lu les livres, mais nous avions aussi regardé le film adapté des aventures de Ramona, “Ramona et Beezus”. Dans cette version, Ramona s’en va bel et bien, mais sa mère a mis le babyphone dans son sac pour pouvoir lui parler et l’aider à retrouver son chemin vers la maison. J’avais mis un talkie-walkie dans la valise de ma fille. Je l’ai laissée remonter la moitié de la rue avant de sortir mon propre talkie et j’ai dit “On t’aime. S’il te plaît, rentre à la maison.”

Elle s’est arrêtée. Elle a posé sa valise et s’est mise à fouiller dedans, cherchant partout le talkie. Voilà, j’avais réussi! Elle allait me dire qu’elle revenait.

“Il est dans la poche extérieure!” lui ai-je dit. Elle a continué à fouiller et l’a trouvé.

Mon fils a pris la parole à son tour: “Reviens, s’il te plaît! A toi.”

Ma fille n’a pas répondu. Il a répété le message.

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“Je l’ai éteint! lui a hurlé sa sœur. Elle a rangé ses affaires et s’est remise en marche.

“Mets tes chaussures”, ai-je lancé à mon fils on la voyant approcher du sommet de la colline. On ne pourrait bientôt plus voir dans quelle direction elle allait.

Il a obéi et nous avons commencé à la suivre. Elle ne s’est retournée qu’une fois, mais quand elle l’a fait, nous nous sommes cachés derrière un gros quatre-quatre. Elle a dû nous repérer quand même, car elle s’est mise à marcher plus vite et a tourné au coin de la rue pour arriver dans une autre, plus animée. Je pressais mon fils d’avancer mais il a de petites jambes et c’était une journée chaude et humide. Ma fille était déjà presque au bout de la rue.

“Appelle-la”, ai-je imploré son frère.

“Je t’aime! a-t-il crié. T’es une super sœur! Rentre à la maison!

Elle s’est arrêtée; s’est retournée.

“Recommence”, l’ai-je encouragé, voulant lui donner l’impression d’être le héros du jour.

“Je t’aime!”

“T’arriveras pas à me convaincre!” a-t-elle hurlé, et elle a traversé la rue.

C’en était trop. Ce mignon petit rite de passage allait finir avec mon visage éploré sur toutes les chaînes d’info.

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“Tu ne peux pas marcher par ici, les voitures ne te voient pas!” ai-je hurlé à mon tour en me précipitant vers elle. “Laisse-nous au moins t’accompagner jusqu’à l’arrêt de bus.”

Elle a hoché la tête d’un air déterminé et m’a pris la main (mon petit cœur de mère a fondu!).

Je l’ai fait s’assoir à l’arrêt de bus et je lui ai dit que le prochain passait à 7 heures du matin (c’était un mensonge).

“Bonne nuit”, ai-je dit.

“Bonne nuit”, a-t-elle répliqué, assise sur son banc. Ses pieds ne touchaient même pas le sol.

“Fais attention aux coyotes”, ai-je ajouté, en prenant son frère par la main et en faisant mine de repartir vers la maison. “Tu sais”, ai-je suggéré en me retournant, “puisque tu vas partir pour un bon moment, tu pourrais peut-être passer une dernière nuit à la maison avant?”

“Bon, d’accord”, a-t-elle dit d’un ton résigné. “Une dernière nuit à la maison.”

Elle m’a pris la main et est rentrée avec nous.

Avais-je remporté la partie? Eh non. Elle a mis son réveil pour 6h45 et a posé sa valise au pied de son lit.

“Tu veux bien lire avec nous une dernière fois?” ai-je demandé, commençant à craindre qu’elle ne se lève vraiment aux aurores pour tenter de s’en aller à nouveau. Elle a accepté. J’ai naturellement choisi “Je vais me sauver!” de Margaret Wise Brown.

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Tout en lisant, je pointais du doigt les paroles de la maman lapin, en demandant à ma fille de les lire.

“’Si tu deviens un oiseau, si tu t’envoles au loin,’ répondit sa maman, ‘Moi je serai cet arbre qui attend ton retour.’” Elle s’est mise à pleurer en lisant ces mots.

Moi aussi.

Elle s’est pelotonnée contre mon épaule et elle a lu la réplique de la maman, “Moi je serai ta maman, et je te prendrai dans mes bras pour te serrer très fort.’”

De grosses larmes laissaient des traînées identiques sur nos joues et elle m’a laissée lui faire un bisou.

Je lui ai fait lire la dernière réplique du petit lapin qui voulait se sauver. “’Tu sais’, dit Petit Lapin, ‘Je ferais sans doute aussi bien de rester ici, et d’être ton petit lapin.’” J’étais sûre de l’avoir convaincue de rester, mais NON! Elle a dit au revoir à son frère, en lui répétant qu’il allait lui manquer.

J’ai bordé les enfants. Mon pauvre fils était épuisé par toutes ces émotions. Ma fille, elle, m’a laissé lui lire un autre chapitre des aventures de Ramona, cette enquiquineuse. Je suis descendue au rez-de-chaussée. Quand je suis remontée, elle s’était glissée dans le lit de son frère et faisait semblant de dormir (une maman sait toujours quand c’est pour de faux). Je l’ai soulevée dans mes bras et l’ai ramenée dans sa propre chambre. Je l’ai remise au lit et lui ai déposé un baiser sur la tempe. “Bonne nuit, mon petit lapin”, ai-je dit. Elle a continué à faire mine de dormir en poussant un soupir très appuyé.

Je suis redescendue, et à peine quelques minutes plus tard, ma fille est apparue en haut de l’escalier. “J’ai décidé de ne pas m’enfuir demain”, a-t-elle déclaré.

Attirer l’attention

J’avais gagné. J’étais extrêmement soulagée de savoir que je n’aurais pas à appeler la police pour qu’ils la retrouvent, mais j’ai fait comme si son annonce était une heureuse surprise.

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“C’est vrai? C’est super! Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis?”

“J’ai envie de partir en colo demain. Ça a l’air marrant”, a-t-elle répliqué.

“Oui, je suis d’accord avec toi. Rien d’autre?”

“J’ai envie de continuer à jouer à Super Mario”, a-t-elle dit.

“Oh. Oui, évidemment. Eh bien, je suis très contente. Je t’aime.”

Elle a hésité. “Moi aussi, je t’aime”, a-t-elle fini par dire avant de repartir aussi vite qu’elle était venue.

Je l’ai trouvée profondément endormie, comme un bébé, avec les bras au-dessus de sa tête, en plein milieu de mon lit. Elle y est restée toute la nuit et quand je l’ai réveillée pour partir en colo le lendemain matin, elle n’a pas parlé de s’enfuir.

C’est une stratégie classique des enfants pour attirer l’attention, et elle n’a jamais couru le moindre danger, mais je me suis demandé à quel point l’année passée avait pu influencer sa décision de s’en aller. Au printemps dernier, la pauvre avait été privée d’école, alors qu’elle s’y épanouissait. Elle ne pouvait plus voir ses amis. Et puis, l’été dernier, toujours en pleine pandémie, elle a vu le mariage de ses parents se briser et a perdu le foyer qu’elle avait toujours connu.

A présent que la pandémie semble connaître une accalmie (touchons du bois…) et que ma fille a le droit de rejoindre la société en partant en colonie de vacances, elle le fait avec un masque, entre deux maisons, en n’ayant pas eu de contacts avec plus d’un ou deux enfants de son âge depuis mars dernier.

Pour la plupart, nous nous sentons un peu anxieux, mais aussi excités à l’idée de retrouver le monde extérieur après tout ce qui s’est passé. Et pour la plupart, nous sortons de cette pandémie – si nous avons la chance d’en sortir – irrévocablement changés. Dans le cas de ma fille, l’amour qui lui a donné le jour, celui que ses parents avaient l’un pour l’autre, a disparu. Il semble logique qu’elle redoute de voir l’amour que nous avons pour elle s’éteindre à son tour. Sa famille et ses amis continueront-ils à l’aimer, quoi qu’il arrive? Et les miens? Et les vôtres? Tout a changé, mais est-ce qu’on pourra un jour m’aimer à nouveau? Oui, mon petit lapin fugueur, nous t’aimerons toujours, quoi qu’il advienne.

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Ce blog, publié sur le Huffpost Américain, a été traduit par Iris Le Guinio pour Fast ForWord.

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Laura Wheatman Hill

Rédactrice et enseignante