Le chef de l’État est de retour sur la scène internationale, après deux années où il s’était mis en retrait. Et il reprend directement les rênes du pouvoir à Libreville. Dans sa ligne de mire, ses opposants en sont convaincus : la prochaine élection présidentielle.
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Voir tout le sommaireGabon : après le pétrole, des idées ?
C’est à à Glasgow, où se tenait la 26e Conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP26), qu’Ali Bongo Ondimba (ABO) a signé son grand retour sur la scène diplomatique internationale. Certes, les séquelles de l’AVC survenu en octobre 2018 à Riyad en Arabie saoudite obèrent toujours sa mobilité – il n’a visiblement pas retrouvé l’agilité de ses vingt ans –et son élocution. Le président a également perdu de l’embonpoint. Mais il a pris la parole pour plaider la cause des pays africains. On l’a vu échanger, l’air décontracté et badin, avec ses pairs et s’accorder une pause-café, tout sourire, avec ses collaborateurs. ABO semble apprécier son retour dans les hautes sphères de la gouvernance mondiale comme une victoire personnelle et une juste récompense pour tous les efforts de rééducation.
À LireGabon : qu’a fait Ali Bongo Ondimba de ses dix ans au pouvoir ?Quelques jours avant la COP26, il s’était rendu fin octobre en Arabie saoudite, où une équipe médicale compétente et réactive était parvenu à stabiliser le patient qu’il fut trois ans plus tôt. Après l’Écosse, il a fait escale au Maroc, au palais de Bouznika, chez son ami le roi Mohammed VI, bienveillant pourvoyeur d’une équipe de praticiens qui prodiguèrent au président gabonais des soins complémentaires grâce auxquels il a pu se relever et marcher de nouveau. Enfin, la tournée d’ABO s’est terminée en France, alliée historique où, à l’occasion du 75e anniversaire de l’Unesco organisé le 12 novembre à Paris, il a rendu visite à son homologue français, Emmanuel Macron. Ça se voit, Ali aime ça. Le pouvoir est un moteur qui aide à se relever de tout.
Une troisième candidature en 2023 ?
Une question brûle les lèvres : ABO peut-il montrer autant de volontarisme et d’appétit pour ensuite renoncer à briguer un troisième mandat comme la Constitution le lui permet ? Peut-il créer la surprise, faire ses cartons et quitter ce Palais du bord de mer où il a passé plus de la moitié de sa vie comme fils et collaborateur du président Omar Bongo Ondimba avant d’en devenir lui-même le maître à partir de 2009 ? Est-il prêt à renoncer à une troisième candidature pour laisser à un autre le soin de présider aux destinées du Gabon à l’issue de l’élection présidentielle prévue au deuxième semestre 2023 ? Aucun signe précurseur ne le laisse supposer.
À LireGabon : son état de santé, la place de son fils Noureddin, la lutte anticorruption… Entretien exclusif avec Ali Bongo OndimbaEn revanche, ses opposants ne se font pas d’illusion. Pour eux, ça ne fait aucun doute : le président sera candidat. « Sinon pourquoi chercherait-il à éliminer certains de ses concurrents en interdisant aux Gabonais ne résidant pas sur le territoire national au moment de l’élection d’être candidats ? », s’interroge un parlementaire de l’opposition. En effet, selon un projet d’ordonnance adopté par le gouvernement gabonais le 12 septembre dernier, relatif aux conditions d’éligibilité du président de la République et aux incompatibilités avec la fonction : « Sont éligibles à la présidence de la République tous les Gabonais des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques […] Ceux-ci doivent avoir résidé sans discontinuité sur le territoire national au moins six mois chaque année, au cours des deux dernières années précédant l’élection. » Si cette ordonnance est ratifiée, elle écartera de la course un ou plusieurs « exilés » politiques et potentiels candidats à la présidentielle.
Les vertus du silence
Quoi qu’il en soit, si le chef de l’État gabonais avait pour projet de se porter candidat à sa propre succession en 2023, il se garde bien de le déclarer. Personne mieux que lui ne connaît les vertus du silence. C’est dans le mystère du mutisme que, malade et affaibli, il est parvenu à survivre au milieu d’une impitoyable guerre des clans au sommet de l’État. C’est en silence qu’Ali gagne du temps, avance ses pions et reprend la main.
Signe des temps, il s’est séparé de son propre fils, Noureddin Bongo Valentin, pour lequel il avait ciselé le poste stratégique de coordinateur général des affaires présidentielles. Le départ de celui qui était considéré par certains comme un dauphin putatif n’a pas encore livré tous ses secrets. D’abord, ce fut une surprise pour les Gabonais, qui connaissent le soin mis par le président à protéger sa famille nucléaire. C’est aussi un mystère pour la presse, qui a toujours eu du mal à traiter le sujet se rapportant au tandem Nourredin-Ali, cette zone grise, aussi délicate que sensible, mêlant vie privée et vie publique. C’est enfin un soulagement pour les amis de la première heure du président, déjà maltraités par Brice Laccruche Alihanga (BLA, tout-puissant directeur de cabinet entre août 2017 et novembre 2019) et parfois tenus à distance par Noureddin.
À LireGabon : Rose Christiane Ossouka Raponda à l’heure du premier bilanConvaincus que leur champion ira aux urnes en 2023, les dignitaires frappés d’ostracisme sont fatigués de ronger leur frein et trépignent de repartir à la reconquête de quelques bribes de pouvoir. « Nous attendons que le président Ali Bongo Ondimba nous donne le signal pour commencer à travailler sur le terrain », s’impatiente un ancien ministre. « Il devrait rappeler aux affaires non pas tous les anciens mais ceux qui étaient ses proches. On ne fait pas de politique avec des inconnus », nuance-t-il.
Reprise en main
En interne, la reprise en main se traduirait donc par le retour en grâce des proches écartés après la présidentielle de 2016. Ces « inconnus » visés par les anciens sont installés à tous les étages du cabinet présidentiel et du gouvernement. Selon un ancien familier de la « terrasse » – ce promontoire du palais où le chef de l’État avait naguère l’habitude d’écouter ses visiteurs du soir en savourant un cigare – le président devrait « faire bouger les lignes s’il veut gagner l’élection ». Reste à trouver le bon moment. Dans l’immédiat, on s’attend à la nomination du haut-commissaire de la République, un poste créé par ordonnance lors du conseil des ministres du 13 septembre 2021 et qu’on a un temps cru destiné à Noureddin. Aujourd’hui, le poste aiguise bien des appétits.
Quelques-uns pressent le président pour qu’il remanie son cabinet même si, on le voit bien, il semble beaucoup apprécier certains membres de l’équipe en place, notamment son directeur de cabinet adjoint, Mohamed Ali Saliou, fils de l’imam de Libreville et proche de la famille Bongo Ondimba, ou encore Jean-Yves Teale, le secrétaire général de la présidence. D’autres lui demandent d’opérer un ajustement gouvernemental. « Ce serait plus efficace de remanier maintenant pour, notamment, tirer les conséquences de la défiance de madame le Premier ministre à l’égard de certains membres de son gouvernement, à l’instar du ministre du Pétrole et des Mines, Vincent de Paul Massassa, de celui de l’Habitat, Léon Bonda Balonzi, ou de ceux dont on estime au cabinet présidentiel qu’ils n’obtiennent pas de résultats à la hauteur des attentes », pense un autre ancien ministre.
Mais rien ne dit que le chef de l’État écoutera ses conseillers. Ali Bongo Ondimba peut aussi privilégier la stabilité en gardant les mêmes équipes jusqu’à la présidentielle. « Pourquoi pas ? Pour compenser la baisse de régime de son engagement dans sa propre campagne, il doit adopter une posture de sage pondéré et en retrait, rassurant et clairvoyant », poursuit un ancien membre du gouvernement. On s’en doute, le phénix n’a pas ressuscité pour aller pêcher la carpe au fil de l’Ogooué. Il faudra compter avec lui pour la prochaine échéance électorale.