Depuis que la télévision existe, le bulletin météo en est un rendez-vous incontournable: sur TF1, il rameute jusqu’à 7 millions de téléspectateurs; sur France 2, l’audimat oscille entre 3 millions après le JT de 13h et 5 millions après celui de 20h. Historiquement, le premier bulletin météo télé fut diffusé le 17 décembre 1946 et présenté par Paul Douchy. Des années durant, ce bulletin sera dressé par les météorologues de la Météorologie Nationale, et filmé dans les locaux du Quai Branly avant d’être livré à Cognacq-Jay, situé à deux pas. Chargé d’une mission de service scientifique, éducative et pédagogique, ce bulletin fut initialement hebdomadaire avant de virer quotidien, en 1958, quatre ans après que la BBC en eut imposé le format.
Autour des cartes illustrées, le look du présentateur importait peu pourvu qu’il soit vêtu d’un costume sombre et qu’il soit dument cravaté. Les diffusions par la Télévision Française étaient alors strictement surveillées et surtout vécues comme des pensums: de par son origine officielle, le bulletin météo était souvent considéré comme une «servitude», sa diffusion étant conventionnée par un cahier des charges intangible. Du coup, ça cafouillait sec à l’écran: retard de diffusion de quelques minutes à cause de la variabilité des autres programmes, retard de livraison de la bande enregistrée. Quant aux fameuses speakerines, chargées de leur lecture en voix off, elles en expédiaient le contenu, coupaient le texte jusqu’à le modifier. Actrice de série B, la blondissime Jacqueline Huet trouva une planche de sauvetage en acceptant de speaker à la télé. Toujours élégante et sexy, elle avouera bien des années plus tard qu’il lui était arrivé de lire la météo de la veille ce qu’elle n’était d’ailleurs par la seule à faire…
«Tous ces écarts étaient systématiquement épinglés par la Météorologie Nationale auprès de l’ORTF… Présenter le bulletin était une affaire de scientifiques et les journalistes n’avaient aucun autre rôle à jouer que répéter mot pour mot et image pour image les informations composées pas ses savants producteurs» raconte Geoffroy Guérinot, auteur d’un brillant mémoire intitulé L’image publique du temps qu’il fait. «Lors de l’annonce de la préparation d’une deuxième chaîne de télévision en 1963, André Viaut, directeur de la Météorologie Nationale, s’était immédiatement assuré que seul un bulletin officiel préparé par son administration y soit diffusé». Quand, en 1969, Jacqueline Baudrier fut nommée à la direction de cette deuxième chaîne elle reprit le projet d’un bulletin spécifique avec un présentateur, en envisageant d’y placer … un simple journaliste. Ce qui cabra le Secrétaire Général à l’Aviation Civile qui s’en émut par ces mots: «Étant donné le danger d’une présentation, plus ou moins agrémentée de commentaires, par un journaliste, la Météorologie a accepté, qu’au moins à titre d’essai, cette présentation soit faite par un météorologiste, ainsi qu’il est pratiqué par de nombreuses télévisions étrangères». À côté les menaces atomiques de la guerre froide, c’était roupie de sansonnet.
Please, tell me the secrets on how to stop biting your nails!!!!!
— Mike Busa Fri Apr 30 19:25:21 +0000 2021
Exit le texte spécifique du météorologue lu par la speakerine: la modernité des années 70 exigera un présentateur, un vrai, garant du lien entre les prévisions et le public avec ses cartes et un discours sinon savant, tout de moins vulgarisé. Foin de proverbes et dictons. Place au sérieux. Or, ce même public malgré la présence des présentateurs météo commença à déplorer l’austérité du bulletin français, jugé trop technique. Il faut dire que la BBC, en plein Swingin’ London, avait décidé envoyer se rhabiller les hommes pour des nouvelles présentatrices habillées en fonction du temps prévu. Ne pas chercher plus loin les racines de la chanson de Petula Clark, La gadoue, pataugée en 1966 par Gainsbourg, avec bottes en caillou’tchouc.
«Cette bataille des genres pour la présentation de la météo souligne davantage la dualité du bulletin, à la fois explication technique et information publique», poursuit Guérinot. Ce qui suit va faire hurler les féministes et les wokes: en France, comme les météorologistes ont voulu maintenir constamment une image d’expertise au sein du bulletin, les présentateurs sont restés pendant longtemps seulement des hommes, ingénieurs de la Météorologie Nationale. «Monsieur Météo» est apparu littéralement par la lettre de Jacqueline Baudrier qui demandait à ce que la direction choisisse les ingénieurs qui pourraient en assurer le rôle. Cette expression n’est donc pas apparue parce que seuls des hommes étaient présents, mais bien parce que seuls des hommes étaientimaginéspour ce poste». Comme il n’existe aucune statue de monsieur météo, il n’y a rien à déboulonner, mais ça contextualise le sujet.