"Les bipolaires sont des guerriers et des guerrières, il faut du courage pour se relever et repartir"

Elle nous reçoit dans son appartement baigné de lumière du vallon des Fleurs à Nice. C'est là que Véronique Labedade, 61 ans, bi-polaire depuis 20 ans, vit. Sur la table ronde du salon, elle a disposé des feuilles de présentation du "Phare des 2 pôles". L'association qu'elle a créée il y a 4 ans, pour venir en aide aux personnes bipolaires.*

"C'est un ami graphiste qui a dessiné le logo. C'est un phare parce qu'il éclaire dans la nuit celui qui est isolé et perdu."Perdue Véronique l'a été. "J'ai erré de nombreuses années dans la maladie."

Aujourd'hui, elle vit "comme tout le monde". Sans hospitalisation depuis 13 ans.

"On est des guerriers et des guerrières, parce qu'il faut du courage pour se relever et repartir."Elle raconte son "combat".

La première "crise", l'internement, la vie qui vole en éclats, le déni avant la "reconstruction".

"J'ai éclaté, je suis partie en phase maniaque"

"J'ai vécu normalement jusqu'à l'âge de 41 ans." Mariée et maman d'une adolescente, Véronique travaille comme responsable de boutique de prêt-à-porter à La Grande-Motte quand survient la crise.

"J'ai éclaté. Je suis partie en phase maniaque. J'ai dû être hospitalisée à Montpellier."

"Les barreaux, les portes qui claquent, le bruit des clés dans la serrure, les cris. C'était horrible. Plonger dans le monde psychiatrique a été d'une grande violence. J'avais l'impression de me retrouver dans le film "Vol au dessus d'un nid de coucou." C'était pour moi l'incompréhension totale."

Elle s'interrompt un court instant avant de nous raconter une anecdote: "A côté de moi, il y avait une dame qui dessinait l'océan. Comme il était vide, je lui ai demandé pourquoi elle ne représentait pas de poissons, elle m'a répondu parce que je veux avoir toute la place pour m'y baigner."

Au bout d'un mois, le diagnostic tombe. "On m'a dit que j'étais maniaco-dépressive. Il y a 20 ans, on ne disait pas bipolaire. Ma fille, qui avait 15 ans à l'époque m'a beaucoup aidée, elle a dû grandir d'un coup. Après 3 semaines en hôpital psychiatrique, j'ai été lâchée dans la nature. Il y avait une moins bonne prise en charge à l'époque."

Son couple ne résiste pas. "En général, quand la maladie se déclare on perd tout, son conjoint, son emploi. Je me suis retrouvée sans travail, sans revenu. J'alternais les phases maniaques et dépressives."

L'errance dans la maladie: du déni à la stabilisation

"J'ai suivi ma fille à Nice. A 16 ans, elle a intégré le lycée hôtelier Paul Augier. C'est elle qui m'a sauvée." Pour elle, elle s'accroche.

Sur la Côte d'Azur, elle retrouve aussi sa sœur et sa mère.

"J'ai vécu d'abord chez ma mère à Vence. Mais je n'étais pas stabilisée. Tous les 4-5 mois j'étais en phase maniaque ou en dépression. J'ai erré de nombreuses années dans la maladie, j'étais dans le déni. Le refus de la maladie, le refus des médicaments qui font grossir, j'ai pris 30 kg en 20 ans. Ce déni dure le temps de trouver un traitement, le bon ajustement, ça m'a pris plusieurs années."

Elle évoque aussi le regard des autres, la peur que suscite la maladie. "On est stigmatisé, et chaque fois qu'un faits-divers implique une personne bipolaire c'est précisé, du coup ça entretient cette crainte. Nous ne sommes pas plus violents voire moins que la moyenne de la population. On est très souvent en souffrance, et on se fait du mal à soi-même. Par les risques qu'on prend en phase maniaque, mais aussi souvent en raison de problèmes cardio-vasculaires, on a 10 à 15 ans d'espérance de vie de moins que les autres."

Un livre suscite chez elle un déclic. "En lisant Rien ne s'oppose à la nuit de Delphine de Vigan, où elle raconte la vie de sa mère bipolaire, j'ai pris conscience que cette maladie m'enfermait dans une forme d'égoïsme. Je ne regardais pas ma fille et sa souffrance. Alors, j'ai tout mis en place pour qu'elle n'ait plus ce poids sur les épaules."

Elle fait appel à un centre médico-psychologique. "Avec l'aide du docteur Giordana, je me suis installée dans un appartement thérapeutique. Puis on a mis en place un suivi avec un psychiatre, une psychologue, et une infirmière référente. Il m'a fallu dix ans pour me stabiliser, j'espère que certains mettront moins de temps. Dans mon parcours j'ai eu la chance d'être entourée de belles personnes."

*Ce témoignage a été publié pour la première fois en février 2019.