Dans le New Jersey, près de New York, la pollution au plomb prive les habitants pauvres d'eau potable. Le militant Anthony Diaz se bat pour l'accès à une eau saine. Pour lui, si les États-Unis ne limitent pas la pollution chez eux, il ne faut pas s'attendre "à ce qu'ils le fassent à l'échelle de la planète".
Une pollution ancienne
Anthony Diaz est né et a grandi dans le New Jersey. Afro-Américain et d'origine salvadorienne, le militant a toujours connu l'eau polluée dans les quartiers populaires de sa ville de Newark : "Le problème de la pollution au plomb de l'eau dans le New Jersey remonte aux années 1970, c'est même peut-être plus ancien." La corrosion des tuyaux en plomb du réseau de distribution de l'eau courante est à l'origine du problème. Le plomb a gravement contaminé l'eau courante normalement potable, alors que "même de faibles niveaux d'exposition à ce métal lourd peuvent provoquer des dommages potentiellement irréversibles au développement du cerveau, des problèmes de fertilité, des dysfonctionnements cognitifs, et des problèmes cardiovasculaires et rénaux", explique la Natural Resources Defense Council (NRDC), une ONG écologiste.
C'est dans la ville de Newark que l'on recense le plus grand nombre d'enfants empoisonnés au plomb dans tout l'État du New Jersey. "Notre maire [le démocrate Ras Baraka, fils du poète et militant Amiri Baraka, NDLR] a longtemps nié l'existence de ce problème, se remémore Anthony Diaz, "le point de départ de notre lutte est 2016, l'année où la pollution au plomb a été détectée dans 30 écoles publiques de Newark, à un niveau 33 fois supérieur à la norme fédérale." L'organisation écologiste NRDC rapporte que ce n'est qu'après des poursuites fédérales pour violation de la loi sur la salubrité de l'eau que la mairie de Newark a commencé à reconnaître le problème. "Puis deux ans plus tard, en 2018, on a réalisé qu'il y avait du plomb dans tout le réseau d'eau de la ville de Newark", raconte Anthony Diaz.
De la sensibilisation à la distribution d'eau potable
La Newark Water Coalition est née en 2018 de la nécessité pour les habitants touchés par cette pollution de s'organiser pour que tous aient accès à une eau saine. "Nous avons rassemblé une trentaine de personnes à une première réunion d'information sur la situation" détaille Anthony Diaz, "peu de gens voulaient nous écouter au début. Mais à l'été 2019, l'Agence de Protection de l'Environnement est venue à Newark et a constaté que le système de filtrage était défaillant, alors de plus en plus d'habitants nous ont pris au sérieux."
Désormais l'organisation qu'il a cofondée distribue de l'eau potable en bouteille et des produits alimentaires trois fois par semaine, à tout habitant de Newark qui le souhaite, ce qui représente environ 150 à 200 familles chaque semaine. Son groupe autonome est "constitué de jeunes activistes et organisateurs qui veulent vraiment apporter des changements dans leur communauté. Avec l'idée que nous ne devons compter sur personne d'autre que nous-mêmes", affirme le militant américain.
Pas uniquement une lutte écologiste
Anthony Diaz veut profiter de l'expérience d'autres activistes du monde entier présents à la COP26, mais également partager les enseignements du combat de la Newark Water Coalition et exprimer son point de vue : "Peut-on dire que le problème du plomb dans l'eau à Newark est uniquement une question de pollution, un problème environnemental ? Ma réponse est non. C'est aussi un problème de racisme, et un problème d'inégalités sociales." Le militant, qui a été candidat ces dernières années à des élections locales dans le New Jersey sans être élu, s'est aussi impliqué dans le mouvement antiraciste Black Lives Matter.
Pour Anthony Diaz ces questions sont liées : "La pollution de l'eau n'est pas chose rare aux États-Unis, c'est même un gros problème. Mais quand vous regardez qui est concerné, vous vous apercevez que ce sont toujours les communautés noires, les quartiers populaires, la classe ouvrière." Quant aux engagements de Washington à réduire ses émissions de polluants, le militant juge que "si les États-Unis ne garantissent pas les droits basiques des Américains, on ne peut pas s'attendre à ce qu'ils le fassent à l'échelle de la planète."
"C'est frustrant quand certains continuent à considérer la justice environnementale indépendamment de la critique du capitalisme", soupire le trentenaire qui estime que : "Vivre dans un pays dont l'objectif premier est le profit, cela implique que les intérêts du capital passent avant ceux de l'humanité." Il voit une "corrélation" entre les problèmes environnementaux et le capitalisme : "Ce que nous vivons à Newark ne se produirait pas dans les quartiers riches où la population est capable de riposter, de dire : 'Nous n'accepterons pas ça'."
Un message d'espoir, et un sentiment d'urgence
Anthony Diaz se rend pourtant à la COP26 avec un optimisme affiché : "Ayez espoir ! Le monde peut changer et c'est à nous de rendre ce changement possible." Dans sa ville de Newark, la lutte a déjà partiellement payé depuis 2016 : "Ils [les autorités locales] ont remplacé une bonne partie du réseau de distribution de l'eau. Mais il reste des tuyaux en plomb dans les logements. Certaines personnes se disent 'Oh ! Vous savez, la crise de l'eau est terminée', je leur conseille toujours de tester leur eau pour s'en assurer."
La crise du coronavirus a marqué une rupture pour la Newark Water Coalition. Son activité a évolué pour faire face aux besoins nouveaux générés par la pandémie. Mais le combat pour une eau propre et pour demander des comptes aux institutions locales ne s'est pas arrêté : "Comment voulez-vous que les gens se lavent régulièrement les mains pour ne pas tomber malades, quand ils n'ont pas confiance dans leur eau courante ?", déplore Anthony Diaz.
Le trentenaire attend de la COP26 qu'elle renforce la prise de conscience de l'urgence climatique, mais il n'a pas confiance dans les représentants des gouvernements, celui des États-Unis en tête : "Nous devons pousser ces politiciens à faire ce qu'il faut, à s'assurer qu'on prend soin de cette planète. Parce qu'une fois que vous mettez ces bureaucrates dans une même pièce vous savez, il en sort toujours beaucoup de promesses et de mots creux. Avec le changement climatique, nous n'avons plus le temps pour ça. Nous avons besoin d'actions."