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Existe-t-il une stratégie de la culotte quand on va chez le médecin? À première vue, cela semble une question décalée et frivole, pour ne pas dire ridicule. Pourquoi y aurait-il lieu de se demander sérieusement quels sous-vêtements on va porter si l’on a un rendez-vous médical dans la journée?
«Je fais comme d’habitude. Le choix des sous-vêtements est plutôt pour moi; je me fais plaisir, tous les jours. Si je vais chez un médecin, rien ne change», raconte Andrea, 52 ans. D’autant que «la ou le médecin a dû en voir d’autres!», s’exclame Marie, 26 ans.
Il est vrai que, rationnellement, il n’y a pas de raison de préférer un slip ou un soutien-gorge plutôt qu’un autre ni de prêter attention plus que d’ordinaire à ces bouts de tissu qui cachent les fesses, le sexe et les seins.
Propre et présentable
Pourtant, se préoccuper de ses dessous avant d’aller chez le médecin n’a rien d’invraisemblable. Ainsi d’Ingrid, 40 ans, qui fait en sorte d’opter pour un ensemble «neutre mais chic, pas trop sexy, noir ou gris, pas de couleur plus inattendue».
Elle n’est pas la seule à éviter à la fois la lingerie vieillotte, dépareillée, tachée, trouée, trop serrée ou détendue, mais aussi celle considérée comme ayant une charge érotique. Une stratégie classique qui souligne «les injonctions contradictoires posées aux femmes: être jolies, mais pas trop», appuie la réalisatrice Nina Faure, entre autres autrice du court-métrage Paye (pas) ton gynéco sur les violences gynécologiques.
Avant tout, «ce qui compte, c’est d’être présentable», détaille le sociologue Philippe Liotard, spécialiste du corps, pour qui cette attention prêtée aux sous-vêtements «renvoie à la présentation de soi et aux codes intériorisés pour se présenter correctement».
Certaines femmes ne peuvent aller chez le médecin sans avoir les jambes fraîchement épilées –bien loin du hashtag #hairylegclub, pour «club des jambes poilues»– et d’autres prennent une douche avant. «Du moment que je suis propre», rapporte Marie.
À chacun sa définition de la propreté. Si l’on considère comme cracras des poils pubiens qui repoussent et dépassent, on peut privilégier une culotte moins échancrée ou éviter celles qui sont transparentes et révèlent à l’œil du médecin que le ticket de métro est devenu carte Navigo.
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Protection contre le jugement
C’est que «le sous-vêtement aide à se composer une attitude. […] Les habits qui recouvrent la peau forment un “territoire du moi”, une “enveloppe”», résume dans l’ouvrage collectif Les objets ont-ils un genre? la conservatrice Anne Zazzo, responsable des collections de sous-vêtements du XIXe siècle à nos jours au Musée de la mode de la Ville de Paris, citant Erving Goffman.
C’est bien ce que décrit Ingrid: «Pour moi, la lingerie a une dimension statutaire. Je trouve qu’elle en dit beaucoup sur ton niveau et ton style de vie. Par exemple, une matière moyenne ou des couleur criardes, ça ne fait pas très élégant. À l’inverse, le petit ensemble simple mais bien coupé, ça fait parisienne bourgeoise».
Un statut qui permet de se sentir non seulement présentable, mais aussi protégée, notamment du jugement. «Un rendez-vous chez le médecin est en général une relation duelle. Il s’agit d’être présentable dans une intimité, ce qui dépend de ce que l’on projette de l’exposition de son propre corps», indique Philippe Liotard.
Érotisme et vulnérabilité
C’est là que peut venir s’ajouter toute la charge symbolique de la lingerie, associée dans les mentalités à la séduction et à la sexualité. «Un regard attentif au commerce des apparences indique que le genre tend à devenir à travers ses objets “un produit de consommation”, écrit Anne Zazzo. La femme en soutien-gorge se comporte selon les schémas publicitaires, comme une image animée.»
On peut alors se penser regardée, d’un air potentiellement lubrique ou du moins intéressé. «On est dans une configuration particulière, dans un endroit clos, en duo avec une personne que l’on ne connaît pas très bien et qui a un pouvoir, du moins symbolique, et vis-à-vis de laquelle on projette des fantasmes de séduction, qu’on le veuille ou non, ou des angoisses, des craintes», pointe Philippe Liotard.
Et ce d’autant plus que la transparence des sous-vêtements, qu’ils soient en dentelle ou dans une matière proche du tulle, peut par exemple laisser entrapercevoir un téton et faire se sentir à nu, vulnérable, ajoute la documentariste Nina Faure –surtout si l’examen qui va suivre le déshabillage est perçu comme gênant. Or «la vulnérabilité est une forme d’érotisme très communément demandée aux femmes».
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Contrôle social préalable
Pour éviter toute méprise et de rappeler les codes d’un rendez-vous galant ou d’une nuit de sexe endiablée, Nathalie, 31 ans, s’abstient de sous-vêtements sexys en cas de rendez-vous médical, de la même manière que Sylvie, 30 ans, sélectionne «une culotte de mamie et un soutien-gorge du même acabit».
Un mécanisme de défense qui, si l’on y réfléchit à deux fois, ne tient pas vraiment: «Si ce professionnel de santé est pervers, c’est se faire des illusions que de penser qu’il va s’arrêter à une vieille culotte», fait remarquer Philippe Liotard.
Reste qu’il correspond à l’idée, comme le signale Nina Faure, que «ce sont les femmes qui portent le poids de la responsabilité de leur érotisme» (culture du viol, quand tu nous tiens), ce qui induit un «contrôle social préalable» et donc que l’on se pose la question de ne pas apparaître, par le biais des sous-vêtements, trop sensuelle.
Même pas besoin d’avoir vécu une expérience où l’attitude du personnel soignant était déplacée, le code est intégré: on veut surtout montrer que l'on n’a rien d’une salope. Tout ça à l’aide d’une culotte et d’un soutien-gorge, des dessous pour le moins révélateurs de la façon dont le corps des femmes reste perçu.