La réindustrialisation par l'Europe ?

La France a toujours été aux avant-postes de la politique industrielle. Longtemps, ce fut même un objet de dérision en Europe : quel sens pouvait-il y avoir à mettre l'État aux postes de commande quand il s'agit de choisir les marchés, les technologies, les secteurs dans lesquels investir ? L'État n'est-il pas à la fois moins compétent que les acteurs du marché, sujet à un contrôle par les champions nationaux et soupçonné éventuellement de gaspiller l'argent du contribuable ? La politique industrielle, pour les partenaires européens de la France, doit corriger les défaillances du marché tout en respectant les règles de la concurrence, les échanges internationaux devant être réglés par l'Organisation mondiale du commerce (OMC). À l'inverse, la France a longtemps plaidé pour l'indépendance industrielle, l'autonomie technologique, la promotion de champions européens. Elle a tenté de promouvoir une conception de l'industrie comme outil de développement et attribut de puissance, et prôné pour ce faire l'intégration des politiques commerciale, de la concurrence et de l'innovation.

Pourtant, la crise de Covid-19 venant après d'autres alertes (attentats du 11 septembre 2001, tsunamis asiatiques fin 2004, crise des terres rares…) a paru changer la donne. La réindustrialisation a cessé d'être une antienne nationale pour devenir une thématique formellement partagée en Europe. La souveraineté industrielle, objectif longtemps promu par les élites nationales, a paru muter en autonomie stratégique européenne, l'effort national trouvant sa place dans une entreprise plus vaste. La bascule s'est opérée lorsque l'Allemagne a découvert ses propres fragilités vis-à-vis de la Chine et a accepté d'entrer dans un dialogue stratégique avec la France (déclaration Altmaier-Le Maire, 19 février 2019).

Sitôt formulée, cette proposition soulève deux objections. Il existe une histoire spécifique du décrochage industriel français, qui a abouti au recul le plus important au sein de l'Europe. L'Union européenne (UE) reste globalement performante en matière industrielle si on en juge par les parts de marché, les brevets, les spécialisations. C'est la France qui a décroché notamment parce qu'elle n'a pas tiré les conséquences macroéconomiques de son passage à l'euro. L'Hexagone réussit moins bien que les pays de l'Europe du Sud dont la compétitivité coût est meilleure que la sienne, moins bien que les pays d'Europe centrale et orientale (Peco) qui, forts de leurs atouts en capital humain et de leur proximité avec l'Allemagne, ont une stratégie de pays émergents. La France est également en retrait par rapport à l'Allemagne et aux pays nordiques qui, grâce à leurs efforts de recherche et développement (R&D) et de montée en gamme, ont amélioré leur compétitivité hors coût.

La réindustrialisation par l'Europe ?

La France s'est donc désindustrialisée, elle a perdu des parts de marché dans les exportations de la zone euro, et ses produits sont devenus moins compétitifs que ceux de ses principaux concurrents. L'exemple de l'automobile illustre ce décrochage spécifique de la France, fait de fermetures d'usines, de délocalisations en Europe de l'Est et en Afrique du Nord, à la différence de l'Allemagne, qui a su maîtriser sa chaîne de valeur, conserver sa production domestique tout en exportant et en s'implantant en Chine. On aurait pu donc s'attendre à ce que la France corrige ses faiblesses de compétitivité, adapte sa politique macroéconomique, s'engage dans les réformes structurelles tant différées et s'inscrive résolument dans une stratégie d'innovation. Or, c'est la mondialisation, les délocalisations et l'évidement manufacturier qui ont été d'emblée dénoncés.

De surcroît, malgré une longue histoire d'échecs européens en matière de politique industrielle, les dirigeants français, le président de la République Emmanuel Macron en tête, estiment que c'est au niveau européen qu'il faut penser le renouveau. La France va dès lors s'engager activement dans une stratégie qui comporte trois volets :

La France ne fait pas le choix d'une réindustrialisation par les relocalisations comme son discours manifeste pourrait le laisser penser. Elle choisit une stratégie de résilience fondée sur trois orientations : diversification des sources d'approvisionnement pour contester la puissance chinoise devenue atelier du monde, développement de stocks et de capacités sur le sol national pour éviter les pénuries qui peuvent paralyser le système de santé et plus généralement les industries à flux tendus, localisation de nouvelles unités à partir des succès de sa politique d'innovation.