Ni homme, ni femme. Une personne intersexuée vient d'obtenir de la justice française de faire apposer sur son état civil la mention "sexe neutre". La personne, considérée jusqu'à présent comme un homme, est née sans appareil génital complet. En France, on considère qu'un enfant sur 100 000 naît intersexué.
Si la décision fait l'objet d'un appel de la part du parquet de Tours (Indre-et-Loire), qui craint qu'elle n'engendre la création d'un "troisième sexe", ou la remise en cause de la "binarité ancestrale des sexes", elle représente un véritable tournant pour les personnes concernées. Sexe, genre, identité, francetv info fait le point sur les questions que pose le "sexe neutre".
L'intersexuation est l'impossibilité d'être classé comme homme ou femme
Selon le médecin de la personne à l'origine de la demande, "M. X" est né avec un "vagin rudimentaire" et un "micropénis", sans testicules. En effet, les personnes intersexuées naissent avec une ambiguïté sexuelle visible : leurs organes génitaux sont difficiles à définir ou sont atrophiés, si bien qu'il est impossible de classer ces personnes comme "homme" ou "femme" selon les standards habituels. D'après la chercheuse en biologie Anne Fausto-Sterling, environ 1,7% de la population mondiale serait concernée par ce type de dérèglements, cite 20 Minutes, même s'il est difficile de déterminer le nombre exact de personnes concernées.
La plupart refusent d'être qualifiées d'hermaphrodites, car contrairement à ces derniers, leurs organes génitaux sont rarement fonctionnels. Les intersexués se différencient aussi des transsexuels, qui revendiquent eux, un changement de sexe.
Elle se repère à la naissance ou à la puberté
La plupart du temps, l'intersexuation, parfois appelée intersexualité, est détectée à la naissance. Certains médecins utilisent l'échelle de Prader pour déterminer le sexe anatomique de l'enfant à sa naissance. Cet outil permet de définir si les organes génitaux sont "mâles ou femelles" en les classant de 0 à 5 : 0 correspond à des organes génitaux externes clairement féminins, 5 à des organes génitaux externes clairement masculins, rappelle Rue 89.
L'intersexuation existe de différentes manières. C'est le cas, par exemple, des personnes atteintes du syndrome de Klinefelter, qui possèdent plus de deux chromosomes sexuels : "En tout cas, ce n'est pas une pathologie, tempère Antoine Faix, urologue contacté par francetv info. Il peut s'agir d'une variation génétique des chromosomes sexuels, ou cela peut être hormonal. Si une grossesse ne s'est pas déroulée normalement parce que la mère manque de testostérone, l'enfant naît avec une anatomie indéterminée."
L'intersexuation peut aussi se révéler lors de la puberté. Lorsque le corps se transforme, "certains garçons peuvent développer une androgynie, leurs muscles ne se développent pas, leurs poils ne poussent pas..., poursuit Antoine Faix. A l'inverse, les filles développent une forte pilosité et leur clitoris prend l'aspect d'un pénis."
Or, si la science peut trancher, et déterminer le sexe biologique d'une personne, les intersexes demandent, eux, à être "neutres" et à n'être classés dans aucune catégorie. "La société n'admet que l'homme ou la femme. (...) Mais cette obligation est une construction politique", confie Vincent Guillot, militant intersexe à Ouest-France.
Elle obligeait jusqu'à présent à différencier le sexe social du sexe biologique
Face à cette situation, de nombreuses familles, soutenues par certains médecins, décident donc elles-mêmes du sexe de leurs enfants à la naissance, ce que déplorent les partisans du "sexe neutre" : "On tente arbitrairement de choisir un sexe masculin ou féminin sans savoir comment ces bébés vont évoluer en les opérant", explique M. X, à l'origine de la demande à Tours, à 20 Minutes. "Ces opérations n’ont pas d’intérêt thérapeutique. On ne privilégie donc pas l’intérêt de l’enfant et son bien-être, mais plutôt celui des parents et de la société, qui n’a prévu que deux cases, masculin et féminin", ajoute Mila Petkova, l'une de ses avocates, soulignant les séquelles psychologiques et corporelles de ces opérations.
C'est le cas de Kris, intersexué de 58 ans, né avec un caryotype XY (masculin), mais déclaré femme par son médecin. Tout au long de sa croissance, et jusqu'à ses 17 ans, il a suivi un traitement lourd sous forme d'injections d'hormones, raconte le site d'infos belge Apache :
Les effets secondaires du traitement sont très lourds, certains irréversibles : stérilisation, perte de la sensibilité, bouffées de chaleur, baisse de la libido et humeur changeante... Kris pense même un temps au suicide.
Vincent, militant intersexe d'une cinquantaine d'années, fait, lui, encore des cauchemars liés au "dilatateur", cet objet destiné à approfondir le vagin, qu'il a été forcé d'utiliser durant son enfance, pour devenir "une fille". "Il est nécessaire de choisir un sexe, défend l'urologue Antoine Faix. Je comprends que ces personnes soient désorientées, mais en biologie, il existe le genre homme ou femme, pas l'entre-deux." De leur côté, les militants intersexes réfutent cette logique qui distingue sexe biologique, identité sexuelle et sexualité. Ils demandent à être reconnus avec leurs deux sexes.
Elle est reconnue comme un genre à part entière dans certains pays
Pour l'instant, lors de la naissance d'un enfant en France, si la détermination du sexe n'est pas évidente, une circulaire de 2011 autorise que l'acte de naissance ne mentionne pas immédiatement le sexe. Ce délai est valable de un à deux ans, rappelle Le Monde, ensuite "il convient de prendre toutes mesures utiles pour que, par la suite, l’acte de naissance puisse être effectivement complété".
Or, si la décision du tribunal de Tours est confirmée, elle pourrait annuler ce délai et mettre à la place, de manière intemporelle, la mention "sexe neutre". Elle permettra aussi de donner plus de temps aux familles concernées par cette situation, "de ne pas se précipiter chirurgicalement (...) et de décider plus sereinement de l'avenir de l'enfant", assure la psychologue Pascale Moulinier à Europe 1.
Au niveau judiciaire, cette mention respecterait l’article 8 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’homme et des libertés fondamentales (CSDHLF), relatif à la protection de la vie privée et au respect de son identité, notamment sexuelle. En mai, le commissaire européen aux droits de l'Homme, Nils Muiznieks, avait d'ailleurs appelé à la reconnaissance légale des personnes intersexes. Les avocats du requérant de Tours espèrent aussi que cette décision aboutisse à un amendement autorisant les personnes intersexuées à bénéficier d’une mention spécifique.
La France ne serait pas le premier pays à statuer en ce sens. Plusieurs Etats ont autorisé ces dernières années l'ajout sur le passeport des cases "X" ou "autres" en plus des mentions "M" et "F", comme l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Népal, l'Inde et l'Afrique du Sud. Malte, l'Argentine et le Danemark ont adopté des législations qui permettent de changer plus facilement de sexe juridique.