Ménopause : vers la fin d'un tabou ?

On doit aux baby-boomeuses la libération sexuelle, le droit à la contraception et à l'avortement, et même le début de la reconnaissance de l'homosexualité. Mais sur la ménopause, elles n'ont rien dit. Silence radio. Aujourd'hui, quand on les interroge, elles bottent en touche : « C'est un non-sujet », « Pourquoi en discuter ? », « C'est une histoire intime ». Elles ont 70 ans, une énergie d'enfer, beaucoup mènent encore une vie active, hyper occupée, alors les histoires d'hormones… On comprend, entre les silences, qu'à l'époque elles ne voulaient pas y penser, faire comme si ça n'arriverait jamais, ne pas vieillir, quoi ! Ce qu'en psychanalyse on appelle le déni. Si l'on n'en parle pas, si l'on n'y pense pas, ça n'existera pas. Tabou.

« Je n'ai jamais abordé la question, ni avec ma fille de 36 ans ni avec mon mari, qui s'en fiche complètement – et encore moins avec mes fils », confie Michèle, 67 ans, ancienne militante du Planning familial, qui ne conserve pas le moindre souvenir de la période de sa ménopause. Quant à Caroline, 74 ans, une silhouette de jeune fille dans son jean et ses baskets, elle s'étonne : « C'était plutôt un confort de ne plus avoir à me préoccuper de contraception. J'ai pris un traitement hormonal et j'ai continué à avoir une vie sexuelle, je n'ai pas eu l'impression d'un avant et d'un après. » Elles se sont débrouillées comme les générations qui les ont précédées, ont franchi le cap avec panache ou discrétion, selon leur personnalité, leur éducation, leur histoire, leur milieu social, ont profité, quand elles en avaient envie – cela n'a jamais été une obligation –, du traitement hormonal de la ménopause. Elles n'en parlaient qu'entre elles, sous le sceau de la confidence, ou avec leur gynéco, mais cela restait une histoire de femmes, rarement évoquée avec spontanéité ou humour.

Au cinéma, vieillir n'a pas bonne image...

Publicités, films… nous intériorisons sans même en avoir conscience des images où les femmes quinquas restent minoritaires. À cet âge, il y a du boulot en matière de parité dans l'univers du cinéma ! La commission Tunnel de la comédienne de 50 ans de l'Aafa (Actrices et acteurs de France associés), qui a publié un manifeste sur le sujet, le montre bien : sur l'ensemble des films français de 2015, seuls 8 % des rôles étaient attribués à des actrices de plus de 50 ans. L'année d'après, cela chutait à 6 %… malgré la sortie d'Aurore, de Blandine Lenoir, avec Agnès Jaoui. C'est l'un des rares films, si ce n'est le seul, affichant la ménopause de son héroïne pour en faire un scénario plein d'espoir.

Les filles des baby-boomeuses font bouger les lignes

« Pour pouvoir gagner leur place dans le monde du travail, les baby-boomeuses ont dû se battre. Elles ne voulaient pas revendiquer une différenciation qui correspondait à une fragilité. La génération actuelle des 45-55 ans a bénéficié de leurs avancées et peut désormais se permettre de faire bouger les lignes à propos du regard porté sur la ménopause », analyse Sophie Schmitt, consultante en innovation et fondatrice du cabinet Seniosphère Conseil. La nouvelle génération de femmes ménopausées et celle qui va l'être d'ici à quelques années ne lâcheront pas. Ce n'est pas que ce soit particulièrement euphorisant d'être de moins en moins jeune… « Ça fait peur. Or ne pas parler de ce qui fait peur entretient la peur », rappelle la psychanalyste Catherine Grangeard. Alors les quinquas libèrent leur parole. Haut et fort. Pas à tort et à travers, mais quand elles le peuvent, dès qu'elles le peuvent. Et pourquoi pas ? « On en parle parce que ça existe ! Il ne faut pas que ça te tombe dessus sans que tu saches ce qui t'arrive ! » s'exclame Sofia, 38 ans.

« Une grande majorité de mères n'ont pas évoqué la ménopause avec leurs filles. Or plus les langues se délieront, plus on aidera les femmes à soulever les bonnes questions en temps et en heure. La ménopause, ça se prépare. Il faudrait s'y intéresser vingt ans à l'avance ! Sinon, les problèmes non résolus de la vie prendront une ampleur considérable à ce moment où l'équilibre psychique est fragilisé et très précaire, et où tout ce qui a été mis en place pour le préserver peut s'effondrer », estime Catherine Grangeard. Natacha, 55 ans, l'a compris : « Je ne m'occupais pas de moi, mais quand j'ai été ménopausée, j'ai découvert que mon sort et mon corps étaient désormais entre mes mains, et que si je ne me prenais pas en charge, je n'aurais pas le droit de me plaindre de mal vieillir. J'avais déjà fait une psychanalyse, je savais où j'en étais. Les enfants avaient quitté la maison, je vivais seule, je me sentais déprimée, alors j'ai complètement changé ma manière de vivre. Je me suis fait suivre par une spécialiste de médecine chinoise et une naturopathe. Je me suis allégée, je vais à l'essentiel, je me sens bien. »

Plus question de faire des efforts juste pour plaire

Ménopause : vers la fin d'un tabou ?

Aujourd'hui, la ménopause est devenue un sujet public, un thème dont les médias s'emparent sérieusement. Ainsi, France Culture, dans son émission LSD (la Série documentaire), a diffusé en mars dernier une série de quatre podcasts (à écouter en replay) sous le titre Ménopause pour tout le monde. Ou comment donner le micro aux quinquas pour remettre en question les stéréotypes de la féminité (jeunesse, fertilité, séduction, douceur, soumission, etc.) dans lesquels elles ne se reconnaissent plus. « Je n'ai plus envie de me forcer, de faire des efforts et des salamalecs juste pour plaire, comme je l'ai toujours fait dans mon travail. Je préfère que l'on dise que j'ai de la personnalité, même si c'est plus clivant, et que l'on me prenne comme je suis », affirme Sarah, 58 ans.

Arrivées au milieu de leur vie, beaucoup de femmes savent à peu près qui elles sont et n'ont plus envie de se soumettre à ce que la société attend d'elles. Ménopausées, et alors ? Leur vie ne se réduit pas à ça. Cette étiquette qui les fait sortir de facto du champ de la féminité blesse celles qui ont intériorisé l'image que la société leur avait accordée jusque-là. On appelle « male gaze » le regard qui passe par les yeux des hommes et représente les femmes, après 40 ou 50 ans, sous les traits de « bonnes femmes » lambda, voire de grand-mères sans avenir enviable. « Il ne s'agit pas de pleurer un éventuel pouvoir de séduction perdu, mais de vouloir avoir le sentiment d'exister encore en tant que femme aux yeux des autres », explique Marianne, 54 ans.

Une « libération »

« II y a des femmes que la ménopause libère et épanouit », assure Irène Kaganski, psychiatre et psychanalyste. C'est le cas de Karine : « Par rapport au syndrome prémenstruel qui me plongeait dans les affres de la dépression, c'est une libération, j'ai une ménopause light, un équilibre psychique meilleur qu'avant. Je n'aimerais pas revenir en arrière. » Quant à Isabelle, la ménopause lui a permis de se débarrasser de ce qu'elle appelle « la séduction gnangnan » et de laisser libre cours à une autre forme de féminité : « J'ai une espèce de masculinité en moi qui peut enfin s'exprimer. Je me sens forte de tout ça. » Christine, elle aussi, se réjouit de la fin de ses règles : « Lorsque j'ai vu Aurore, le film de Blandine Lenoir avec Agnès Jaoui, je me suis rendu compte que la ménopause pouvait être super chouette, qu'une nouvelle vie pouvait commencer. Depuis, j'ai écouté des podcasts, lu des comptes féministes post #MeToo. J'ai 56 ans, je suis ménopausée depuis deux ans. On devrait vraiment dire aux femmes de célébrer leur ménopause comme elles ont célébré leur maternité. »

Selon Brigitte Allain-Dupré, psychanalyste, pour tirer parti positivement de la ménopause, il est nécessaire quand même d'assumer les choix que l'on a faits. Il est important de donner de la valeur à son chemin. « Il faut accepter ce que Jung appelle la conjonction des opposés : pour produire de l'énergie, une pile a besoin d'un pôle positif et d'un pôle négatif. Si elle n'a que l'un des deux, ça ne marche pas. »

Trouver sa petite souris

Pour vivre la ménopause comme une évolution, encore faut-il trouver « son » projet… Comme Brigitte Allain-Dupré le rappelle, « la ménopause est quand même le début d'une progressive perte corporelle qui n'est pas rien, tant les règles nous ont occupées tous les mois pendant des années. C'est comparable à la perte de la première dent, qui a besoin d'être compensée par le cadeau de la petite souris ». Alors, à chacune de trouver la petite souris de sa ménopause, qui transformera cette perte en plaisir. Celui, par exemple, du début d'une nouvelle vie professionnelle, comme cela a été le cas pour Sophie Dancourt, fondatrice de J'Ai Piscine Avec Simone : « La ménopause a été un déclic et j'ai fondé mon média à 52 ans, sans avoir fait une école de commerce ni attendu, pour une fois, d'avoir 150 % de compétences pour m'y atteler. »

Michelle Obama a raconté sa première bouffée de chaleur

La sociologue Cécile Charlap le souligne : « L'âgisme [la discrimination fondée sur l'âge] frappe davantage les femmes que les hommes. » Une chevelure poivre et sel sera jugée sexy pour les hommes mais négligée pour les femmes, même si les mentalités évoluent. « Et comme le féminin se définit par rapport à la fécondité, le vieillissement des femmes est d'autant plus synonyme d'opprobre social, contrairement au vieillissement masculin », poursuit-elle. Ne plus être capable d'avoir des enfants, ce serait donc ne plus être tout à fait une « vraie » femme ? Comme s'il n'y avait pas d'autres formes de féminité à explorer. « Ça demande du courage de changer son propre regard sur soi pour changer celui des autres », constate Cécile Charlap. En juillet 2020, Michelle Obama a raconté sa première bouffée de chaleur dans un podcast. Il fallait oser, elle l'a fait. Cette prise de parole publique venant d'une femme aussi admirée et admirable a ouvert la brèche. A l'époque, elle confiait : « Ce que le corps d'une femme lui fait traverser est une information importante. »

Aux Etats-Unis, la ménopause est devenue un thème de société totalement décomplexé. Il ne s'agit pas de la brandir comme un étendard, mais de ne plus la cacher comme si c'était un sujet honteux. « Les femmes ne souhaitent pas que la ménopause reste un tabou total, mais elles ne tiennent pas pour autant à la mettre au premier plan. Elles l'assument, ce qui ne veut pas dire qu'elles la revendiquent », explique Sophie Schmitt. Elles ne veulent plus subir des changements physiologiques sans les comprendre et demandent qu'on les aide à les traverser de la manière la plus naturelle qui soit. Elles ne se privent plus de sonner à toutes les portes et en parlent désormais avec un humour et une légèreté qui n'empêchent pas le sérieux du propos, et font un bien fou. Les Françaises ne sont pas en reste et ont investi les réseaux sociaux pour s'emparer du phénomène. Sur Instagram, les comptes comme la_menopause, jaipiscineavecsimone ou encore sophiefontanel représentent une mine d'informations passionnantes et délurées sur des sujets de préoccupation traités nulle part ailleurs.

Un documentaire qui dénonce la stigmatisation sociale

Son titre : Ménopausées. C'est dit ! Diffusé en septembre 2020 sur France 2, on y entendait parler pour la première fois à la télé, dans la bouche de sept femmes entre 51 et 62 ans, de bouffées de chaleur invalidantes, de sautes d'humeur… Avec humour mais aussi colère « de ne pas avoir su avant ». Blandine Grosjean, qui a écrit ce documentaire, raconte : « Les femmes les plus perdues n'étaient pas celles qui souffraient le plus des symptômes, mais celles qui ne parvenaient pas à accepter de n'être plus celles qu'elles avaient été. Elles disaient : “Tu deviens transparente. Plus aucun homme ne te regarde.” » Invisible, la femme de 50 ans le deviendrait socialement si elle ne s'accrochait pas pour exister aux yeux des autres.

Pas le temps des regrets, mais celui des projets…

Sur @menopause.stories, Sophie Kune propose chaque semaine des live qu'elle qualifie de « débridés » avec des experts bien-être, beauté, sexe… Tapez « ménopause » sur Facebook, vous n'aurez que l'embarras du choix de groupes et de communautés, comme Ménopause sans complexes ni tabous, Marre de la ménopause !, SOS Ménopause, ou encore Ménopause Café (soutenu par… le laboratoire Mylan). Le message commun : à la ménopause, vous êtes délivrée de la charge mentale de l'éducation des enfants et de l'obligation de super performance dans les entreprises – qui ne vous accorderont de toute façon plus de promotion –, et vous avez enfin du temps pour vous. « Ce n'est pas un moment de regret, mais un moment de projet », observe Sophie Schmitt. Les quinquas se chouchoutent. Elles prennent soin de leur corps, de leur alimentation et de leur forme physique pour préparer les décennies qui leur restent à vivre.

Un vent de positivité souffle sur la ménopause. Désormais, des marques de cosmétiques s'appuient sur le discours des femmes, auquel elles donnent une légitimité. Ainsi, Vichy et Clarins, qui n'auraient pas osé aborder le sujet il y a dix ans, affichent leur soutien à travers des podcasts (respectivement No Pause et Mon corps ce héros). On voit naître des gammes entières visant à rétablir l'équilibre hormonal, comme MiYé et ses formules naturelles. C'est l'effet boule de neige ! Un site, amenovia.com, à la fois plate-forme d'infos, de conseils holistiques, e-shop et lieu d'échanges, s'est lancé l'année dernière. La ménopause, le dernier sujet à la mode ? Une chose est sûre, un nouveau marché très prometteur s'ouvre pour répondre à de vrais besoins qui n'avaient jamais été formulés. « C'est vraiment le début du début », estime Sophie Schmitt. La dernière révolution féminine est en marche…

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