Rituels de masturbation : « Je me prépare pour me faire l'amour à moi-même »

Kinou, le graphiste et artiste LGBT+ derrière le compte Instagram @kinou_dit_tout, en parlerait presque comme d’un « date » avec lui-même. Pendant le premier confinement, ce trentenaire a eu l'occasion de tester plusieurs rituels de masturbation. Après avoir vécu un « plan cam » (une séance de masturbation devant une webcam) foireux avec un inconnu rencontré sur une application de rencontre, il a eu l'idée de s’offrir un moment à lui. Confiné seul dans son appartement, il s'est organisé comme si un amant allait le rejoindre. « Je me suis dit : “Ce soir, c'est ton soir.” Après une journée de télétravail, je me suis préparé comme si je recevais un rencard. J'ai senti que j'en avais besoin », relate-t-il. Car, pour certains, agrémenter ses séances de masturbation de porno ou d’un sextoy ne suffit pas toujours. Ils préfèrent une ritualisation, qui passe par toutes sortes de petits gestes destinés à rendre ce moment le plus intime possible.

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Kinou s’est douché, rasé et parfumé. « J'y ai mis encore plus les formes, parce que personne ne me regardait. Je suis parti dans un délire. J’ai allumé des bougies et des diffuseurs d'huiles essentielles. J’ai mis une playlist de « R'n'B lover » et je me suis préparé pour me faire l'amour à moi-même. L'ego-trip total ! Il ne manquait plus que les pétales de rose sur le lit, mais c'était déjà pas mal. » À la lueur des bougies, il se masse avec des huiles. « Je me suis mis à me masturber et c'est comme si je redécouvrais un peu mon corps. Il y a la masturbation utile, pour se soulager du stress ou pour faire passer une migraine. Cette fois-ci, je me masturbais en prenant mon temps. Cela m'a fait beaucoup de bien. J'y ai passé deux heures ! » Kinou dit avoir vécu cet instant comme un moyen de se retrouver, dans un contexte d'isolement au début de la pandémie de Covid-19.

« Je me douche, me rase, choisis un ensemble de lingerie dans lequel je me sens désirable »

« C’est très beau », estime Marie-Hélène Stauffacher, psychothérapeute et sexologue à Genève. Selon elle, réveiller ses sens avec de la musique ou une odeur peut permettre de se réapproprier sa sexualité. « Je suggère souvent de travailler sur le fantasme érotique, de se créer un monde imaginaire et un environnement qui nous mettent dans un état d'excitation. Cela permet d’envisager la sexualité pas seulement au prisme d’une fonction orgasmique, mais comme quelque chose de lumineux, que ce soit avec quelqu’un d’autre ou avec soi-même », dit-elle.

Rituels de masturbation : « Je me prépare pour me faire l'amour à moi-même »

D'autres personnes n'ont pas eu besoin d'être enfermées pendant plusieurs mois pour ritualiser leurs séances de masturbation de façon quasi-systématique. C'est le cas par exemple de Wetty Lace (un pseudo), jeune femme de 27 ans qui apporte toujours un soin particulier à ces temps où elle se masturbe chez elle. « J'ai remarqué que la mise en place d'un rituel pour un moment de sexe en solo m'apporte plus de plaisir et de confiance en moi. » Wetty se prépare à chaque fois comme si elle avait rendez-vous avec elle-même. « Je me douche, me rase, choisis un ensemble de lingerie dans lequel je me sens désirable, puis je me maquille, me coiffe. Exactement de la même manière que si j'allais rencontrer quelqu'un pour passer un moment charnel », détaille-t-elle. Elle explique que ce rituel, mis en place depuis deux ans, lui permet de nourrir son estime d'elle-même. Wetty Lace tient à préciser qu'elle s'habille et se maquille avant tout pour se plaire à elle-même davantage qu'aux autres, y compris dans la vie de tous les jours. Et que c'est cette attention qu’elle se porte qui nourrit son plaisir solitaire.

« Un signe de respect et d’amour pour soi-même »

Julie, une femme trans de 42 ans, a, elle aussi, longtemps ressenti le besoin de se parer de certains atours pour se sentir à l’aise dans la masturbation. « C'était très lié à ma transidentité, parce que ça arrivait souvent quand je m'autorisais justement à porter des vêtements perçus comme féminins, à me maquiller. Il fallait que ce soit dans une optique d'apprivoiser ma féminité, de me sentir femme. D'ailleurs, je ne m'étais jamais reconnue dans la sexualité socialement perçue comme masculine », explique-t-elle. D'autres éléments peuvent s'ajouter à l’habillement : se préparer un dîner, boire un verre de vin ou mettre des musiques « romantiques ou sexy ». « Donc ça peut prendre plusieurs heures avant de finalement terminer par la masturbation, comme un date avec moi-même », commente-t-elle. Un fort sentiment de culpabilité et de honte a longtemps entouré ce rituel. Aujourd'hui, Julie a entamé une transition. Se maquiller et porter des robes est devenu plus habituel pour elle et donc moins associé à l'excitation sexuelle. Désormais, s'imaginer dans des rôles de femmes différentes suffit à la mettre dans l'ambiance. La culpabilité a diminué en intensité et ses séances de masturbation sont plus « spontanées », même si elle continue à les considérer comme des rendez-vous. « Je les vois à présent comme du self-care, comme une façon de prendre soin de moi. »

« C’est un signe de respect et d’amour pour soi-même, commente Marie-Hélène Stauffacher. C’est comme si on se faisait la fête, comme lorsqu’on s’autorise un massage ou un bon repas. Pourquoi ne se ferait-on pas un bon repas parce qu’on est tout seul ? Tous les sexologues proposent de trouver des moments de qualité comme ceux-là, quels qu’ils soient. En thérapie, on travaille aussi beaucoup sur l'imaginaire parce qu’en n’étant que sur le corps, ça ne marche plus forcément après un certain âge. »

« Je m'oblige à ne pas commencer à me toucher avant que le désir soit vraiment au top. »

Pour d'autres personnes, un certain type de configurations matérielles permet le déploiement de cet imaginaire, lui aussi ritualisé. F.B, du compte @levilainpetitboudoir sur Instagram, procède toujours de la même manière. D'abord, elle se lave longtemps les mains en pensant à ce qu'il va se passer. Ensuite, elle se glisse sous les draps. Tout cela, en commençant à faire naître des scénarios dans son esprit. « Je m'oblige à ne pas commencer à me toucher avant que le désir soit vraiment au top. Je ne veux pas que ce soit juste un truc mécanique, comme c'était le cas quand j'étais plus jeune. Depuis quelques années, c'est le fait de penser à ce qui me fait bander qui est excitant, plus que de le faire. Avec mes questionnements féministes, ma façon de me masturber est devenue plus réfléchie et plus épanouissante, remarque-t-elle. Mes scénarios sont un mix entre des choses vécues et mon imaginaire. Parfois, j'imagine carrément une longue scène avec des personnages fictifs à qui je parle et où j'incarne un rôle. Je réfléchis à un lieu, aux gens, à ce que je suis à ce moment-là », ajoute-t-elle. Ce procédé est même devenu pour elle l'unique manière de parvenir à la jouissance. « Je ne fais jamais autrement. Sinon, ça ne fonctionne pas. »