« Des chargements de plusieurs centaines de kilos de cocaïne, c’est devenu la routine » : le port d’Anvers, épicentre de tous les trafics

C’est un monde où les fumées des usines pétrochimiques rejoignent les nuages, où les autoroutes louvoient entre parkings et entrepôts, où les conteneurs s’entassent comme les pièces d’un jeu de Lego multicolore tombé des mains d’un géant. Si la renommée du port belge d’Anvers, centre de triage à l’échelle d’un continent, se mesure d’abord au poids des marchandises chargées et déchargées – 238 millions de tonnes pour la seule année 2020 –, il traîne aussi une réputation, moins glorieuse, de « passoire » laissant s’échapper de ses quais les marchandises illicites… Les douanes belges elles-mêmes le concèdent : à peine 1 % du trafic est inspecté, sur deux points de contrôle, de part et d’autre de l’Escaut.

Nous y voici, un jour d’automne. Tandis qu’une file de camions attend son tour pour passer, en moins de deux minutes, au sein du dispositif de « scanning » mis en place pour sonder leurs entrailles, trois agents déballent des cartons remplis de coussins couleur crème made in China, transportés par un chauffeur roumain dans un semi-remorque immatriculé en France. Rien à signaler. Il faut plus que quelques coups de cutter pour démanteler les filières. Dans une salle en surplomb, avec pour unique décor une photo du couple royal belge, le responsable de l’unité d’enquêtes sur les drogues, désireux de garder l’anonymat, ne cache pas l’ampleur de sa tâche : « Nous faisons face à une armée hors de contrôle, lâche-t-il. Le phénomène explose comme jamais auparavant. Il est question de corruption, même au sein de nos organisations. »

Pourtant, pas une semaine ne passe sans une saisie de cocaïne d’envergure, en général en provenance du Brésil, de Colombie ou d’Equateur. « Il y a quelques années, on s’étonnait de découvrir des chargements de plusieurs centaines de kilos, maintenant c’est devenu la routine », commente le même enquêteur. Ainsi, plus de 90 tonnes ont été saisies en 2021, pour une valeur marchande estimée entre 4 et 5 milliards d’euros, soit 35 % de plus que l’année précédente et quatorze fois plus qu’en 2011. Mais les dirigeants des douanes ont conscience des limites de leur action. D’après eux, à peine 10 % de la cocaïne importée est découverte. « Le niveau des pertes financières induites par une grosse saisie entraîne un cercle vicieux, poursuit le douanier. Les trafiquants doivent alors en récupérer le plus rapidement possible. »

Le bonneteau des conteneurs

« Des chargements de plusieurs centaines de kilos de cocaïne, c’est devenu la routine » : le port d’Anvers, épicentre de tous les trafics

Sur les rives de l’Escaut, aucun terminal n’échappe à ce jeu de cache-cache. Certains sont des zones particulièrement sensibles, comme le « MPET MSI », secteur d’accueil des grandes lignes venues d’Amérique du Sud. Ou encore le « Fruit Terminal » – le plus grand hub portuaire d’Europe spécialisé dans les fruits. La dissimulation de ballots de cocaïne dans des régimes de bananes est un classique. C’est d’ailleurs dans une cargaison de ce type, arrivée d’Equateur, que 2 tonnes de poudre ont été saisies le 28 juillet. Les pamplemousses, recouverts de paraffine, ont aussi leurs adeptes. A condition que les trafiquants anversois récupèrent la marchandise assez tôt… Récemment, des sachets de poudre blanche ont poursuivi leur route jusqu’à se retrouver au rayon fruits et légumes d’un supermarché polonais.

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