Grace Ly, autrice : « Quand ma mère me parlait devant l’école, j’entendais les moqueries, les imitations d’accent »

Animatrice et réalisatrice d’un podcast très suivi (« Kiffe ta race » chez Binge Audio, 4 millions d’écoutes sur les quatre-vingts épisodes), écrivaine (Jeune Fille modèle, Fayard, 2018), chroniqueuse culinaire (« La Petite Banane »), créatrice d’une websérie (Ça reste entre nous)… Depuis dix ans, Grace Ly, 42 ans, tisse sa toile autour d’un fil rouge : la place des personnes d’origine asiatique en France, leur héritage culturel mais aussi le poids des stéréotypes qui leur sont associés, à commencer par celui de « minorité modèle ».Grace Ly, autrice : « Quand ma mère me parlait devant l’école, j’entendais les moqueries, les imitations d’accent » Grace Ly, autrice : « Quand ma mère me parlait devant l’école, j’entendais les moqueries, les imitations d’accent »

Au fil des épisodes de sa série, dans son roman autobiographique ou dans son podcast, qu’elle coanime avec Rokhaya Diallo, elle explore aussi bien le fétichisme des hommes occidentaux pour les femmes asiatiques que les clichés autour la cuisine chinoise, la place des minorités sur les écrans, le rapport à l’école ou au travail des familles immigrées, la virilité des hommes asiatiques… Ce mois-ci, son podcast est devenu un livre, sorti ce 13 janvier aux éditions First (240 pages, 17,95 euros).

Fille de parents sino-cambodgiens exilés en France dans les années 1970, Grace Ly a grandi dans une marmite multiculturelle à Clichy, en banlieue parisienne. A 20 ans, elle était étudiante en droit à l’université Paris-I, heureuse mais encore loin d’avoir compris les multiples facettes de son identité.

Vos deux parents ont fui le génocide des Khmers rouges au Cambodge pour s’installer en France. Vous êtes née quelques années plus tard. Comment grandit-on avec le poids de ce passé ?

Grace Ly, autrice : « Quand ma mère me parlait devant l’école, j’entendais les moqueries, les imitations d’accent »

Je suis née à Grenoble en 1979, l’année de la fin du génocide. Mon père, qui était issu de la bourgeoisie commerçante chinoise du Cambodge, venait d’un milieu aisé. Ma mère était issue de la même minorité, mais venait d’un milieu plus populaire. J’ai grandi parmi des survivants et des fantômes, au milieu de multiples histoires d’exil, de souffrance et de pertes. Mais aussi parmi des personnes dotées d’une force incroyable, qui ont réussi à surmonter d’énormes traumatismes.

Avant de quitter Phnom Penh, mes parents avaient commencé des études de médecine. Arrivés en France, ils auraient bien aimé poursuivre dans cette voie, mais c’était trop difficile, ils devaient subvenir à leurs besoins, accueillir de la famille… Ils ont dû recommencer à zéro. Ils ont travaillé toute leur vie, dans différents domaines : gérants d’une blanchisserie industrielle, d’un bazar, d’un vidéoclub, d’un restaurant…

A la maison, on recevait beaucoup de famille, cousins, amis qui restaient avec nous quelques semaines ou quelques mois. On déroulait des matelas par terre, on dormait tous dans une même pièce. On faisait des repas avec plusieurs services : la nourriture a été un élément-clé dans mon héritage culturel. Mes parents n’étaient pas forts en verbe, mais la question « est-ce que tu as faim ? », c’était leur manière d’aimer.

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