Défendre l'autonomie du savoir

L’autonomiedelascienceconsisteavanttoutenl’indépendancedesrecherches menées en son nom à l’égard d’injonctions venant d’autres domaines ou champs d’activité : pouvoirs religieux, politiques, économiques… Mais elle signifie également l’indépendance non plus par rapport à des instances extérieures mais aussi envers des idéologies professées au sein même du monde scientifique et qui influencent la production et la transmission des connaissances en les éloignant de la visée d’objectivité et de vérité qui est au fondement de l’activité scientifique.

Cette dernière caractéristique – la visée de l’activité – relève d’un impératif non plus d’indépendance mais de spécificité : c’est le fait de se donner la connaissance comme fin en soi qui définit le cadre de l’activité scientifique, à la différence par exemple d’une visée de progrès technique – qui peut découler des découvertes de la science, mais ne les justifie ni ne les motive nécessairement – ou d’une visée d’amélioration morale ou politique de la société.

La prise en compte de la visée de l’activité scientifique, et non plus seulement de ses conditions effectives, permet de mettre en évidence la nature duelle de l’autonomie de la science. Elle apparaît en effet non seulement comme une réalité factuelle, observable, mais aussi comme une valeur à faire advenir : être à soi-même sa propre fin est ce qui définit une valeur1. C’est dire que l’autonomie peut souffrir tant d’obstacles à sa réalisation effective, sur le plan de la réalité (comme en ont témoigné récemment des révélations sur la manipulation des données scientifiques au profit d’industries cherchant à éviter l’interdiction de leurs produits), que de contestations de sa nécessité, sur le plan des valeurs (par exemple lorsque des convictions idéologiques ou des objectifs militants sont présentés comme des visées légitimes pour des chercheurs).

Défendre l'autonomie du savoir

Enfin, cette autonomie ne relève pas d’une dichotomie, de type ou bien/ou bien, entre une science qui serait autonome et une science qui ne le serait pas, mais plutôt d’une gradation sur l’axe du plus au moins d’autonomie : celle-ci est donc toujours relative. C’est pourquoi le concept d’autonomie tel qu’il a été introduit en sociologie doit s’entendre plutôt comme un moment dans un processus d’autonomisation2 : l’autonomie de la science, toujours plus ou moins accomplie, est à penser comme un fait non pas absolu mais relatif, en même temps que comme une valeur plus ou moins partagée.

Indépendance et spécificité de l’activité scientifique, considérées à la fois comme un fait et comme une valeur, et dans une perspective non pas statique mais dynamique : voilà comment on peut définir utilement l’autonomie de la science.