Bérénice Bejo : « J’ai les mêmes valeurs qu’à 20 ans »

Comment s’est passée votre rencontre avec Philippe Le Guay ? Bérénice Bejo - Elle remonte à quelques années, lorsqu’il m’avait proposé un autre film que je n’ai pas tourné. Je me souviens avoir tout de suite aimé ce monsieur : Philippe est une sorte d’aristocrate qui use d’un langage soutenu et se démarque par un phrasé très particulier. C’est, en outre, un homme extrêmement gentil, respectueux, qui a conservé des valeurs devenues rares.

Cette fois, qu’est-ce qui vous a convaincue de le suivre ?Bérénice Bejo - Je trouvais que cette histoire de conflit entre un propriétaire juif [Jérémie Renier] et l’acquéreur de sa cave, un homme aux idées négationnistes [François Cluzet], permettait d’aborder un sujet tristement d’actualité. Et si cela ne semblait pas très moderne dans la dramaturgie ou même dans l’image, je me disais que cette forme, rappelant les vieux thrillers français qu’incarnaient Jean Gabin ou Lino Ventura, pourrait apporter une force au film. Mais, à la lecture, mon personnage ne me semblait pas très présent et mon souhait, comme la plupart des actrices, était de ne pas être seulement le faire-valoir du héros. Pour y remédier, j’ai donc beaucoup œuvré afin que la femme de ce propriétaire puisse exister vraiment et monter en puissance.

Quels partenaires sont Jérémie Renier et François Cluzet ?Bérénice Bejo - François et moi avions depuis longtemps envie de nous retrouver sur un projet commun, mais cela ne s’était jamais concrétisé. Sur ce plateau, il s’est révélé particulièrement heureux, optimiste et très joueur. Quant à Jérémie, je le connaissais, et ce que j’aime chez lui, c’est le contraste entre son grain de folie et l’apparente douceur de son visage. Nous avons aimé travailler ensemble, c’était riche et passionnant.

Votre personnage est si bouleversé par l’antisémitisme de son voisin qu’elle suspecte tout le monde. La comprenez-vous ?Bérénice Bejo - Au-delà du sentiment de persécution, ce film montre que l’on peut avoir une vision commune sur le fond, mais s’opposer totalement sur la forme. Cela vient souvent d’un conflit de géné- rations. Résultat, on a beau avoir été élevé par nos parents et être censé penser comme eux, la différence d’âge et d’époque provoque parfois de réels désaccords dans les familles. Je le vois avec mes parents, dont les propos peuvent parfois me choquer, mais aussi avec mon fils de 13 ans, qui ne comprend pas toujours mes positions.

En tant qu’Argentine, avez-vous déjà ressenti les inconvénients d’être une étrangère en France ?Bérénice Bejo - Jamais ! Quand je suis arrivée à Paris, j’avais 3 ans, je ne parlais pas français, mais je me souviens avoir été très bien accueillie à l’école. C’était dans les années 80 et l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand créait une certaine euphorie, notamment pour mes parents, qui avaient fui une dictature militaire. Je me revois sur les épaules de mon père, bravant la foule dans les rues du quartier de la Bastille pour crier sa joie et son optimisme. Après des années de droite au pouvoir, les gens pensaient que le monde allait changer radicalement. Charlie Hebdo et le Canard enchaîné s’en donnaient à cœur joie et ma famille hal- lucinait devant tant de liberté d’expression. Nous avons également eu la chance de demander la nationalité française juste avant que le gouvernement Pasqua de la première cohabitation ne durcisse les lois d’intégration.

Retournez-vous souvent en Argentine ?Bérénice Bejo - Depuis trois ans, la pandémie m’a empêchée d’y aller, mais j’aimerais y envoyer mes enfants cet hiver. En attendant, nous sillonnons la France pour le plaisir de découvrir de nouveaux coins mais aussi par souci écologique. On ne peut pas partir trop souvent pour l’étranger et il faut revoir un peu nos façons de voyager.

Qu’y a-t-il d’argentin en vous ?Bérénice Bejo - Mon attachement à la famille. Je ne cherche pas à voir mes parents et mes grands-parents tous les week-ends comme en Argentine car, en France, la famille que l’on a créée est la priorité. Mais j’ai toujours aimé recevoir mes proches à la maison et préparer un repas pour vingt personnes ne m’effraie pas.

La jeune actrice qui débutait il y a près de trente ans est-elle différente de celle d’aujourd’hui ?Bérénice Bejo - J’ai mûri, mais je ne pense pas avoir trahi la jeune fille que j’étais en exerçant ce métier. J’ai les mêmes valeurs qu’à 20 ans et mon rapport au monde n’a pas changé. Malgré tout, certaines personnes m’ont permis d’évoluer. Rencontrer Michel Hazanavicius, par exemple, était une chance inouïe : c’est l’homme qui partage ma vie, mes pensées, mes désirs mais aussi des moments de travail. Je n’arrive pas à croire que nous sommes en couple depuis seize ans et à me dire que le quotidien et le temps qui passe n’ont pas eu raison de nous. Tout le monde ne partage pas ce rêve, mais moi, je sais que cet amour durable m’épanouit. Et si j’ai changé, c’est en partie grâce à lui car, à ses côtés, j’ai gagné en confiance et en dérision. Il est très fort pour voir la vie du bon côté ; or, moi, j’ai besoin de dédramatiser les choses pour avancer. Je n’ai jamais eu la fibre révolutionnaire de mes parents, je n’aime pas forcément l’idée de tout démolir pour rebâtir. Ma vie de femme comme ma carrière se sont construites petit à petit.

Vous avez tourné à nouveau sous sa direction dans Z (comme Z). De quoi s’agit-il ?Bérénice Bejo - C’est un film de zombies qu’il a réalisé vite et avec un petit budget le temps de financer son adaptation, en animation, du livre de Jean-Claude Grumberg, la Plus Précieuse des Marchandises. Je me suis beaucoup amusée à jouer l’actrice de ce film de série Z avec Romain Duris, Finnegan Oldfield et Grégory Gadebois. Tous, nous avons adoré être mis en scène par Michel, car c’est un magnifique directeur d’acteurs. Je ne peux pas dévoiler grand-chose de plus, mais cela marquera le retour d’Hazanavicius à la comédie et il y redira son bonheur d’être sur un plateau pour filmer coûte que coûte. Bref, après The Artist, ce sera une nouvelle déclaration d’amour au cinéma.

Comment s’est déroulé votre été ?Bérénice Bejo - J’ai tourné, sur l’île de La Réunion, un film de Mélissa Drigeard inspiré d’un événement survenu en 2018. Il suit une bande de copains débarqués à Hawaii lorsqu’un état d’alerte est déclenché après une suspicion de tir de missiles. Les craintes sont vite dissipées, mais la panique ayant provoqué déclarations d’amour et règlements de compte, ils devront composer, pour le reste des vacances, avec ces révélations. Il y avait, dans le scénario, tous les ingrédients d’une comédie populaire bien sentie et, avec Elodie Bouchez, Manu Payet, Nicolas Duvauchelle et William Lebghil, le tournage avait des airs de colonie de vacances.

Et qu’allez-vous entreprendre ces prochains mois ?Bérénice Bejo - Après avoir enchaîné de nombreux projets, j’ai décidé de m’accorder une pause. Cela me permettra de m’occuper de mes enfants et de laisser venir les choses tranquillement. J’achève tout juste le tournage d’une adaptation du Colibri réalisée par Francesca Archibugi, avec Laura Morante et Nanni Moretti. J’avais déjà joué en italien pour Marco Bellocchio dans Fais de beaux rêves mais, cette fois, il s’agissait d’interpréter de vraies scènes avec de longues répliques. J’ai beaucoup aimé relever ce défi, car jouer en italien, ça revient à enfiler un déguisement supplémentaire qui empêche de trop intellectualiser et offre la liberté d’oser encore plus de choses. Un peu comme jouer avec un nez rouge finalement.

L’Homme de la cave, de Philippe Le Guay. Sortie le 13 octobre.

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