En France, il y aurait plus d’un million de pères qui ne verraient plus leurs enfants et en seraient « privés », selon les associations de défense des droits des pères. Rendez-vous compte ! Le chiffre a même été repris dans une vidéo par le média Konbini en 2020. On y voyait un père d’une de ces communautés, la larme à l’œil, qui narrait son désespoir. Sauf que derrière le témoignage poignant, l’Obs et Rue89 découvraient une histoire sordide de violences conjugales et de maltraitances infantiles, réorientée par un père masculiniste. Quant au chiffre colossal du million de paternels spoliés, sa méthodologie est plus que douteuse et correspond en réalité à la part des mères ayant la résidence principale des enfants parmi l’ensemble des familles monoparentales françaises.
Autant d’infos qui ont amené Konbini à supprimer sa vidéo. Et un cas d’école pour le sociologue Édouard Leport. « Le mouvement des associations de défense des droits des pères n’a pas besoin d’être très efficace dans ses actions et son organisation car à la moindre tentative, ils trouvent de l’écho immédiatement », explique-t-il. Pendant deux ans et demi, le chercheur a rencontré les membres et assisté aux permanences de ces petites communautés, dont le nombre total est difficilement quantifiable. « Beaucoup d’associations existent mais sont, en général, animées par très peu de militants. Mais ce sont des mouvements qui sont là depuis les années 70. En cumulé, elles ont eu de l’impact. » Il en a tiré un ouvrage : Les papas en danger ? (Éditions de la maison des sciences de l’homme), dans lequel il déconstruit l’argumentaire en vogue dans ce milieu, qui cautionne les violences conjugales et fait preuve d’un antiféminisme viscéral.
La presque totalité du mouvement affirme défendre l’égalité hommes-femmes. Sont-ils féministes ?
Non. Ils utilisent des outils rhétoriques et des formes de présentation d’eux-mêmes, notamment en utilisant le discours de l’égalité mais qui est une égalité de surface, qui aplatit tous les enjeux sociaux. Il suffit d’écouter leurs revendications pour se rendre compte qu’ils sont assez clairement antiféministes et qu’ils appartiennent au mouvement masculiniste.
Comment font-ils pour se défendre du sexisme ?
Ils utilisent un peu tout ce qu’ils peuvent. Au niveau individuel, ça va être des déclarations du type : « Je ne suis pas sexiste, j’aime ma femme, ma soeur, ma fille… » Des approches complètement dépolitisées. Et il y a des associations qui réussissent à être marrainés par des figures qui se revendiquent du féminisme. C’est le cas de SOS Papa qui a été marrainé par Evelyne Sullerot, une des fondatrices du Planning familial, qui est considérée comme féministe. Sauf que celle-ci tient des positions qui sont incompatibles avec une partie du féminisme.
Ces associations visibilisent leurs marrainages comme étant des preuves irréfutables qu’elles ne sont pas sexistes, qu’elles défendent l’humanisme, certaines vont même jusqu’à dire qu’elles ont un combat féminisme. Elles peuvent d’ailleurs se présenter pour l’égalité, contre un féminisme qui serait allé trop loin. Des associations disent qu’aujourd’hui, ce sont les hommes qui sont victimes de sexisme, elles essaient d’inverser le rapport de force. Ces mouvements ne se préocupent pas tellement de cohérence idéologique, notamment sur leur considération du féminisme. Ils disent : « On n’est pas sexiste, on aime le féminisme », mais ils expliquent qu’en même temps « les féministes extrémistes sont à la base de tous les problèmes de la société. »
Ce que vous décrivez, c’est que ces associations de défense des droits des pères sont plutôt des machines à créer du masculinisme.
Tout à fait. C’est très clair pendant les observations. Il y a tout un travail de reformulation, d’orientation voire même d’impulsion de la part des militants face aux demandes des pères qui viennent chercher des conseils. J’ai assisté à des moments où les pères sont un peu perdus, posent des questions et les militants leur disent par exemple : « Il faut demander la résidence alternée à tout prix ». Y compris quand les pères visiteurs montrent un peu de résistance, disent qu’ils ne sont pas tout à fait prêts, qu’ils ne peuvent pas l’assumer.
Est-ce que cela se ressent sur les questions de violences conjugales ?
Oui, et même sur la question des violences sexistes et sexuelles de manière générale. Les militants se mettent dans une position de soutien inconditionnel aux pères. Quand certains parlent des accusations de violences conjugales portées contre eux, la première réaction des militants est de dire : « Elles font toutes ça, c’est de la malveillance ». Ils partent du principe que c’est toujours faux et qu’il n’y a pas eu de violences conjugales.
Les militants estiment également que la question des violences faites aux femmes est surmédiatisée et que ça invisibilise l’enjeu de la violence de couple subie par les hommes, qui serait aussi importante que celle subie par les femmes. Ils insistent beaucoup sur la violence psychologique – qui existe dans le continuum des violences conjugales – mais leur définition d’une violence psychologique faite aux hommes est vraiment très extensible. Parfois, une opposition exprimée par la femme est considérée comme une violence conjugale. Ou le fait que le repas ne soit pas prêt quand le mari rentre à la maison le soir. C’est assez incroyable.
Il y a des situations qui vous ont particulièrement marquées ?
D’un côté, il y a cette minimisation et un retournement pour dire que les hommes sont les principales victimes. Et, à plusieurs reprises, j’ai observé une dédramatisation qui est assez glaçante, notamment plusieurs « blagues ». Des propos du style : « Si on avait buté nos exs il y a dix ans, on serait déjà sortis de prison et on ne serait pas plus mal que ce qu’on est aujourd’hui. » Cette phrase a été dite par le président-fondateur d’une des associations. Il y a aussi eu ça à la fin d’une permanence : « Si votre ex vous emmerde, vous nous payez 1.000 euros chacun et on va lui péter la gueule. »
Il y a une déresponsabilisation totale des violences conjugales ?
Oui, mais même au-delà de ça : il y a une déresponsabilisation totale des hommes. Quoi qu’on leur reproche, ce n’est jamais de leur faute. Ils ne font que réagir ou ils n’avaient pas le choix. C’est toujours la faute des femmes, de la société, de la justice qui est peuplée de magistrates. Cela donne des situations ahurissantes. Dans une des associations, j’ai assisté lors d’une permanence au témoignage d’une femme. Après qu’elle ait évoqué les violences conjugales qu’elle avait subies, on lui a conseillé d’adhérer à l’association. Comme ça, ils seraient plus forts « contre les associations féministes qui n’aiment pas les pères et pour qui les hommes sont tous violents ». On voit vraiment les oeillères, le prisme idéologique qui est plus fort que tout, même plus fort que l’interaction réelle dans laquelle sont dits ces propos : des violences conjugales contre une femme.
Ce discours des associations amplifie-t-il les violences conjugales ?
Oui, je pense, et pour au moins deux raisons. D’abord, en minimisant les violences, en les « naturalisant », en disant : « Quand on pousse les hommes à bout c’est naturel, ils sont violents », la banalisation du phénomène participe à sa reproduction voire à son amplification. Et le deuxième aspect très important, c’est que ces associations fournissent un ensemble d’outils pour éviter toute conséquence au fait de perpétrer des violences. La notion de l’aliénation parentale (1) est utilisée par toutes les assos. C’est quelque chose qui est vraiment très dangereux car ça permet aux pères d’échapper à toutes les accusations formulées par des enfants lors d’une séparation, comme les violences sexuelles.
L’aliénation parentale, c’est quoi ?
La théorie du « syndrome de l’aliénation parentale » fait référence à un trouble dans lequel un enfant accuserait un de ses parents de violences ou d’inceste, ou ne voudrait plus le voir. Ce serait alors dû, selon cette théorie, aux manipulations de l’autre parent dans les cas de séparation. Un concept est très décrié par la communauté scientifique, qui contribuerait à « occulter » les violences dénoncées par les enfants.
En plus de cela, ces associations conseillent les pères à prendre des mesures illégales, notamment pour ne pas payer la pension ?
Oui, j’ai observé ça dans quelques cas. Des militants ont évoqué la possibilité de se déclarer insolvable ou de faire un dossier à la Banque de France pour éviter de payer les pensions. Ils présentent ça comme le seul recours qui existe pour ne pas la payer. C’est une solution qui n’est pas très développée sur laquelle les militants n’insistent pas vraiment. Les pères s’y opposent rapidement car c’est complètement disproportionné et illégal. Mais ça montre l’état d’esprit des militants, l’envisager comme une possibilité montre jusqu’où ils sont prêts à aller pour ne pas payer les pensions.
Pourquoi les enjoignent-ils à ne pas la payer ?
Parce que la pension est vue comme une « rançon », comme de l’argent qui est pris par leur ex-femme avec l’aide de la justice. À aucun moment, ce n’est vu comme de l’argent pour l’enfant. Il y a vraiment un discours construit et constant sur le fait que l’argent des pensions est retiré aux pères de manière injustifiée et qu’il ne sert aux mères qu’à s’enrichir et à s’acheter de nouvelles chaussures ou je ne sais quoi. L’idée que les femmes divorcent pour s’enrichir avec l’argent de leur ex-mari est très vivante et mise en avant, même si elle est statistiquement fausse.
Un des présidents d’une association a fait de la prison pour ça d’ailleurs. Ce qui est étonnant, c’est que son mouvement organise une sorte de médiation familiale. Or, tout son parcours est une opposition extrêmement forte avec son ex-femme : il a arrêté de payer la pension jusqu’à faire de la prison pour ça. Ça éclaire assez bien les ambitions de l’association. La médiation familiale est surtout pour faire céder les femmes et mettre en avant les exigences des pères.