La ligne apparut à l'horizon, tel un fil gris tendu sur un patchwork aux tons vert pâle. Alors que l’avion s’en approchait, elle se mua en une colonne de quelques centaines d’animaux, serpentant à travers la plaine. «Des gnous!», cria Charlie par-dessus le bourdonnement du moteur. « C’est un petit groupe. » Nous nous trouvions au nord du cratère du Ngorongoro, en Tanzanie. Comme nous étions en mars, nous savions que les gnous allaient bientôt se diriger vers le nord-ouest pour traverser le parc national du Serengeti et pénétrer ensuite au Kenya. Et ils étaient là, les uns derrière les autres, formant un convoi parfaitement rectiligne.
Depuis des milliers d’années, les troupeaux de gnous bleus sillonnent le vaste écosystème du Serengeti dans le sens des aiguilles d’une montre (chaque animal parcourt environ 2 800 km), suivant les pluies, broutant l’herbe, fertilisant la terre et devenant des proies en nombre pour les prédateurs. Et là, foulant les pistes immémoriales de ses ancêtres, ce troupeau allait migrer vers le nord-ouest. Mais pas cette fois.
« Pourquoi vont-ils vers le sud ?, criai-je à Charlie.
– Va savoir !, répondit-il. Ils cherchent de l’herbe. Il n’y a pas grand-chose à manger ici. »
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— Guts Sat Feb 09 18:16:39 +0000 2019
J’étais venu en Tanzanie pour assister à la grande migration des gnous et j’avais rejoint le photographe Charlie Hamilton James, qui couvrait leur longue marche depuis deux ans. Nous avions décollé de la ville d’Arusha avec le Kilimandjaro à l’horizon. La terre s’était d’abord déployée en un luxuriant camaïeu de vert, entre fermes caféières et zones de forêt dense, puis, après notre survol du cratère du Ngorongoro, elle avait laissé place à de vastes plaines.
Il y a un mois, la zone était encore un tapis d’herbes hautement nutritives. Mais les pluies avaient cessé et le sol paraissait désormais desséché, tout juste ponctué de maigres touffes d’herbes. À découvert, la colonne de gnous ressemblait à une tribu perdue, cible facile pour une troupe de lions ou une meute de hyènes.
J’aperçus alors un gnou sortir de la file. Il regarda autour de lui et partit dans la direction opposée, comme s’il avait réalisé que le groupe faisait fausse route. Le troupeau ignora le rebelle et poursuivit son chemin. Ce gnou, pensai-je, était condamné.
Vu le parcours semé d’embûches qui les attendait, beaucoup d’autres gnous du troupeau étaient eux aussi voués à la mort. À la merci de la météo, ils allaient devoir souvent modifier leur itinéraire et parcourir de longues distances pour trouver des pâturages. Ils seraient sans cesse harcelés par les prédateurs. Ces dernières années, ils avaient aussi dû faire face à des obstacles provoqués par les humains (des clôtures érigées pour protéger les cultures et le bétail) et à la concurrence des troupeaux de moutons et de chèvres en pleine expansion.