Geneviève Cabana connaît très bien ces pensionnaires, et vice versa. La technicienne en soins animaliers appelle doucement la maman, Elsa, comme on le ferait avec un chat domestique. Elle lui susurre des mots d’encouragement, tout en lui tendant de petits morceaux de viande à travers le grillage de l’enclos.
Elsa dresse les oreilles et s’approche, curieuse. Geneviève procède alors à une série d’exercices avec le grand félin, qui répond au doigt et à l'œil : montrer l’intérieur de ses pattes, toucher un bâton du bout de son museau. Des activités qui permettent à la technicienne d’examiner le léopard, sans devoir passer par la table d’opération.
La technicienne Geneviève Cabana montre comment elle a procédé à l'examen des glandes mammaires du léopard.Photo : Radio-Canada / Marie-Claude LyonnaisElsa est entraînée. Elle nous permet d’avoir un certain contact avec elle. D’ailleurs, on pouvait toucher ses glandes mammaires et en deux, trois semaines, on les a vues grandir
. C’est un des signes qui a poussé Geneviève à suggérer une échographie du ventre d'Elsa, suspectant qu’une gestation était en cours.
Car le bébé se faisait attendre! Le Zoo croyait même que les amours du couple étaient perturbées par la présence de la mère d’Elsa, Snowflake, qui a, depuis, quitté l’établissement. La grand-mère n’y était finalement pour rien! Les léopards des neiges peuvent se reproduire à partir de l’âge de trois ans. Eux, il y a eu un petit délai, peut-être à cause d’une maturité plus tardive dans leur cas
, souligne Geneviève Cabana.
L’arrivée de bébé était d’autant plus attendue que son bagage génétique est peu représenté chez les léopards des neiges en captivité, un critère important pour assurer que la population soit diversifiée, forte et en santé.
Actuellement, nous avons 138 individus qui font partie du programme de conservation de l’espèce et ce qui est ciblé, c’est 150, explique Chantal Routhier, conservatrice au Zoo de Granby. Pour être capable d’atteindre cela, ça prendrait 12 naissances par année et, pour l’instant, on en a 5 ou 6.
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Ce programme, c’est le Species Survival Plan de l’Association des zoos et des aquariums, qui vise la conservation et la gestion des populations d’animaux vulnérables en captivité dans les zoos accrédités. Car l’état du léopard des neiges – même s’il n’est pas en voie d’extinction comme son voisin de cage, le léopard de l’Amour – est tout de même fragile. Difficile de savoir le nombre précis d'individus à l’état sauvage : est-ce 2500 ou 6000? Des études sont en cours pour tenter de déterminer le nombre de fauves vivant sur un immense territoire de la taille du Mexique, qui s’étale sur 12 pays asiatiques. Le Zoo de Granby, en finançant l’achat d’appareils de télémétrie et de géolocalisation, participe d’ailleurs à cet effort international pour obtenir des données probantes sur l’animal.
Actuellement, 138 léopards des neiges font partie du programme de conservation de l'espèce.Photo : Radio-Canada / André VuilleminCes données, de nombreux experts les attendent avec impatience. En 2017, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a reclassé le statut du léopard des neiges, qui est passé d’espèce en danger
à vulnérable
, parce que son déclin est moins rapide que prévu
. Jennifer Snell Rullman, qui travaille pour le Snow Leopard Trust, un organisme qui œuvre pour la conservation de l’animal à l’état sauvage, affirme que la nouvelle est loin d’avoir été accueillie avec trompettes et cris de joie.
C’était une décision fautive! Il n’y avait pas suffisamment de données pour prendre cette décision!
s’exclame-t-elle*. Un fait appuyé par plusieurs experts. Le léopard a ainsi perdu des mécanismes de protection, et pourtant, tous s’entendent, y compris l’Union internationale pour la conservation de la natureUICN, pour dire qu'il fait face à des menaces très sérieuses
, déplore Jennifer Snell Rullman.
Les scientifiques confirment que le déclin du léopard des neiges est réel : perte de son territoire, braconnage – de 220 à 450 bêtes par année –, changements climatiques et diminution du nombre de ses proies, lui aussi en chute libre. Les menaces sont nombreuses. Dans certaines régions, il est aussi chassé par les résidents, car il attaque le bétail.
Jennifer Snell Rullman est d’ailleurs partagée lorsqu’on lui demande ce que l’avenir réserve à l’espèce. De son bureau de Seattle, aux États-Unis, elle lâche un petit soupir de découragement. Les mines commerciales n’étaient pas une menace en 2003. Aujourd’hui, c’est la plus importante menace pour le léopard des neiges. Avec les changements climatiques et les menaces émergentes… nous ne savons pas ce que sera la situation à l'avenir
, s’inquiète-t-elle.
La vétérinaire du Zoo de Granby, Émilie L. Couture, rappelle que cette première naissance pour Elsa et Kang permet toutefois d’entrevoir l’avenir avec plus d’optimisme.